Jane Jacobs, la rue et les espaces verts (2)

Dans une rue espagnole. Photo : Katell Chomard.

Continuons avec Jane Jacobs (l’article précédent est ici) au sujet des qualités respectives des rues urbaines et des espaces verts. Elle cite un extrait très instructif d’une étude publiée en 1928 par la Regional Plan Association de New-York au sujet des loisirs des enfants : « Une enquête menée dans un rayon de 400 m autour des terrains de jeux aux caractéristiques les plus diverses dans un grand nombre de villes fait ressortir qu’environ un enfant sur sept, entre 5 et 14 ans, fréquente ces terrains… L’attrait de la rue constitue une concurrence très forte… Il faut qu’un terrain de jeux soit vraiment bien dirigé pour concurrencer sérieusement les rues, débordantes de vie et d’aventures. » Elle poursuit : « Le même rapport déplore que les enfants s’obstinent à vouloir baguenauder au lieu de jouer à des jeux classiques (classiques pour qui ?). Cette envie de faire entrer l’organisation dans les jeux des enfants chez ceux qui interdiraient volontiers les jeux dans la rue, et cette obstination chez les enfants à vouloir traîner dans des rues débordantes de vie et d’aventures, voilà deux caractéristiques toujours d’actualité de nos jours, exactement comme en 1928 ».

Cet attrait de la rue pour les enfants est-il toujours d’actualité comme il l’était en 1928 et encore en 1961 ? On pourra certes objecter que l’insécurité liée aux voitures contrebalance la sécurité apportée par la surveillance des adultes, et que les trottoirs, qui supportent l’essentiel de l’activité des enfants, sont de nos jours souvent encombrés d’engins roulants qui génèrent de l’insécurité, ou du moins gênent les jeux. Comme l’explique Jane Jacobs, voilà d’excellentes raisons pour vouloir retirer les enfants de la rue et les parquer dans des endroits censés être « pour eux ». Pourtant, cette évolution n’est pas inéluctable, car d’une part les rues piétonnes se sont beaucoup développées et peuvent être adaptées aux jeux, et d’autre part la reconquête des trottoirs au bénéfice des piétons en général et des enfants en particulier est un objectif atteignable.

Source : Cinémathèque de Nouvelle Aquitaine.
La même rue aujourd’hui (Google Maps)

Encore faut-il que la largeur des trottoirs soit appropriée, or c’est rarement le cas, car d’après Mme Jacobs l’idéal serait de 9 à 10 m, et il est difficile de faire grand-chose avec moins de 6 m, sachant que dans nos villes il est déjà bien difficile de faire respecter la largeur libre théorique de 1,40 m. Et il faudrait surtout qu’il reste des enfants à habiter dans les villes, ce qui ne va pas de soi. Ayant découvert une séquence filmée dans une rue du centre de Limoges en 1913, où l’on aperçoit une marmaille hilare qui joue et court entre les étals des bouchers, j’ai comparé avec l’aspect de la même section de rue aujourd’hui (que je connais pour l’avoir fréquentée, et pas seulement par Google) : elle est devenue patrimoniale et touristique, et on n’y voit plus guère d’enfants, encore moins d’enfants non accompagnés, bien qu’elle soit piétonne. Ceux-ci habitent maintenant dans les périphéries et s’efforcent de tirer parti des rues de leurs lotissements, qui peuvent fournir des terrains de jeux acceptables, de même que les parkings, mais qui n’offrent pas la même richesse en expériences qu’une rue populeuse et commerçante de centre-ville.

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