Une approche sociale de la restauration écologique

Le barrage de la Roche-qui-Boit avant sa destruction.
Photo Epncantonducey, licence CC BY-SA 3.0

Il a plusieurs fois été question ici des opérations de renaturation de cours d’eau, lorsqu’elles comportent des suppressions de plans d’eau appréciés du public. Trop souvent, elles poursuivent uniquement des objectifs écologiques – au demeurant très louables – sans se préoccuper des rapports que les habitants entretiennent avec leur environnement, ni envisager de mesures compensatoires au bénéfice des usages par le public. C’est le problème avec les services de l’État lorsqu’ils portent de telles opérations : leur fonctionnement cloisonné peut les conduire à ignorer des sujets étrangers à leur champ de compétence.

En Normandie, la vallée de la Sélune, qui a un gros potentiel piscicole, a fait l’objet d’un important programme de renaturation qui impliquait la destruction de deux barrages hydro-électriques, et donc la suppression des lacs associés. Ici, le programme de suivi scientifique de l’opération comportait un volet social, pris en charge par la géographe Marie-Anne Germaine. Son rapport met en évidence un « déficit d’information » ainsi qu’ « une sous estimation, voire une absence de considération de l’attachement des populations locales aux lieux (lacs, vallée) et une absence de concertation« . Le scénario du « réensauvagement de la vallée » retenu par l’État « est vécu localement comme un choix par défaut et apparaît comme le résultat d’un impossible dialogue entre le projet écologique et les enjeux de territoire ».

Un constat malheureusement assez banal, donc, mais il a le mérite d’exister et de proposer des pistes pour associer les habitants à la co-construction d’un projet de territoire, « avant qu’ils ne s’en détournent ». Par ailleurs, un point a particulièrement retenu mon attention : l’auteur signale que « depuis la suppression des barrages, les dernières enquêtes ont révélé que des usagers inattendus (trailers et kayakistes) se saisissent du paysage de la vallée ». Cette observation nous suggère en effet que même en l’absence de « projet de territoire » ou des « mesures compensatoires » sus-mentionnées, la vie (sous sa forme humaine) va forcément, d’une manière ou d’une autre, revenir dans l’espace renaturé, dans un premier temps sous une forme un peu sportive ou aventureuse, en attendant que des usages plus populaires s’installent. Les gens sont parfaitement capables de tracer des sentiers tout seuls, ou de se découvrir de possibles coins pour se mettre au frais et barboter dans la rivière retrouvée, avant que ces choses-là ne s’officialisent le cas échéant.

De même que les lignes de désir impriment dans l’herbe les cheminements que les gens souhaitent emprunter, et qui ne sont pas forcément les mêmes que ceux pensés par les concepteurs d’espaces publics, le fait de laisser en l’état une vallée « renaturée » peut permettre de voir s’installer progressivement de nouvelles pratiques que les autorités pourront par la suite encourager ou encadrer s’il y a lieu. En la matière, il semble qu’il ne puisse pas y avoir de « fin de l’histoire » et qu’il ne soit jamais trop tard. L’absence de concertation avec les habitants serait peut-être, en définitive, plus un problème pour le succès du projet de suppression d’ouvrages que pour le maintien de pratiques sociales ?

Un commentaire

  1. merci JP pour ton bel article qui donne inspiration…

    pour en rajouter une couche, voilà le résultat à Questembert :

    Pour l’Asec de Questembert, supprimer l’étang de Célac « est une spoliation du patrimoine » #Questembert #Vannes #Eau @OuestFrance

    https://www.ouest-france.fr/bretagne/questembert-56230/pour-lasec-de-questembert-supprimer-letang-de-celac-est-une-spoliation-du-patrimoine-243b1f34-ce89-11ee-ae65-ae2b32b20025

    en espérant que là bas aussi, de nouvelles pratiques se mettent en place. Si le projet abouti vu les levées de boucliers ! Hiiiiii

    bises

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