L’accès à la fraîcheur

Baignade dans la Vienne, 1973.

Les étés chauds, ce n’est pas nouveau. Je me souviens, dans les années 1970, de journées de torpeur au mois d’août dans un coin du Limousin : l’air est immobile, le goudron fond sur les chaussées, il n’y a personne dehors – sur la place de l’église, les tilleuls taillés en moignons n’offrent qu’une ombre maigrelette – et même les piliers du café Ferrand ont la flemme de se rendre à l’abreuvoir. Seules bougent les guêpes autour des prunes tombées – car il fait presque 30°, et à l’époque, on trouve que c’est pénible.

Où aller chercher la fraîcheur en attendant l’orage du soir ? Ce ne sont pas les bois qui manquent, mais il fait trop chaud sous les taillis de châtaigniers, et on se pique encore les fesses sur les bogues de l’an passé. Il y a bien des plans d’eau municipaux dans la région, mais les quelques coins d’ombre y sont pris d’assaut et l’eau y ressemble à une soupe tiédasse. Le mieux est d’aller à la rivière. A 5 km de là, une minuscule prairie de fauche offre un accès à la Vienne, qui court sur un fond de cailloux au milieu des bois. Le coin n’est connu que d’une poignée d’autochtones, qui ont aligné de grosses pierres en travers de la rivière pour relever un peu le niveau de l’eau : en visant bien, on peut arriver à faire quelques brasses face au courant, sans trop se cogner aux rochers. L’eau, claire et couleur de thé, est fraîche mais pas froide. La ville d’Eymoutiers, à 12 km à l’amont, n’a pas de station d’épuration en ce temps-là, mais au vu de l’abondance des libellules et des trichoptères, on suppose que l’eau est propre. Le dimanche après-midi, deux ou trois familles se regroupent dans le pré après avoir ripaillé dans une gargote voisine. On joue dans l’eau, on bavarde, on bouquine, on taquine les grillons avec un brin d’herbe – c’est du bonheur simple et pas cher.

Passant par là 50 ans plus tard, je m’aperçois que la prairie a été avalée par les bois. Fini, l’accès à la Vienne ! J’en profite pour aller voir les deux autres vieux coins de baignade qui m’avaient été signalés dans la commune, sur une autre rivière. Le premier est englobé dans une propriété bâtie et fermée, et il me faut les bottes pour m’approcher du second, cerné par les ronces. Première observation : dans cette commune pourtant bien dotée en rivières, les possibilités d’accès à l’eau ont manifestement régressé. Deuxième observation : si l’évolution est la même dans les communes rurales françaises, comment leurs habitants feront-ils pour aller se mettre au frais lorsqu’il fera 40, 45 voire 50°, surtout si on continue à supprimer des plans d’eau pour la noble cause des continuités écologiques ?

Dans un ruisseau breton, 2002.

La création d’îlots de fraîcheur urbains est une excellente idée, mais il ne faudrait pas oublier les ruraux au motif que les campagnes seraient moins chaudes que les villes. On pourrait peut-être, ici ou là, entreprendre de recenser les anciens lieux d’accès à l’eau, histoire de les restaurer là où c’est possible ? Après tout, la liberté de baignade est un principe général du droit, y compris dans les eaux privées, partout où il n’y a pas d’interdiction. Et même sans parler de baignade organisée, avec tout l’arsenal juridique qui s’y rattache, la simple possibilité de barboter avec de l’eau jusqu’aux genoux suffirait à faire le bonheur de pas mal de monde lorsque blés et maïs rôtissent sous le cagnard.

Un commentaire

  1. Mon père évoquait souvent les moments heureux qu’offraient aux enfants de son village les baignades en rivière, la Saône en l’occurrence. Ils s’y retrouvaient, joyeux et sans surveillance. C’était une autre époque. Mais sans doute pourrait-on, ici ou là, en favoriser le retour.

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