Flâner, ou déambuler ?

Flâneurs lorientais au repos.

Il a été plusieurs fois question ici de la flânerie, y compris dans le sens dépréciatif qui est donné à ce terme au Québec. Cette activité aurait-elle les faveurs des autorités par les temps qui courent ? C’est ce que suggère un appel d’offres lancé par la Ville de Lorient, qui porte sur des « missions de maîtrise d’œuvre, d’études et prestations d’assistance à maîtrise d’ouvrage relatives à la mise en place du projet « Mon Centre-Ville Demain » », ceci dans le cadre d’un « accord-cadre mono-attributaire mixte à marchés subséquents et bons de commande de marché de maîtrise d’œuvre ». Si vous arrivez à comprendre de quoi il s’agit, c’est peut-être pour vous, la date limite est fixée au 22 janvier.

Les élus lorientais sont a priori de ceux qui portent haut la « valeur travail », comme on dit, et sûrement proches de ceux qui en 1981 se gaussaient de la création d’un « ministère du temps libre », car ces choses-là n’étaient pas très sérieuses – c’était bon pour des marxistes attardés dans la lignée de Paul Lafargue et de son « Droit à la paresse » (1880). Mais cela se passait en des temps très anciens, et les esprits évoluent, car on redécouvre aujourd’hui l’ « urbanité », et les petits plaisirs qui vont avec. C’est ainsi que le premier des trois objectifs de la mission est défini comme suit : « mieux flâner : en améliorant le cadre de vie par la piétonisation pour un centre-ville apaisé, par la végétalisation et le réaménagement des places où il fera bon flâner« .

Photo André Kertész, 1926

Voilà donc cette activité un peu paresseuse promue au rang d’objectif politique, et on ne s’en plaindra pas. Ceci me conduit à un autre terme qui est très à la mode dans les études paysagères et d’aménagement urbain : la déambulation. Ces termes sont-ils interchangeables ? Pas vraiment, car mon Grand Robert définit joliment le verbe flâner comme « se promener sans hâte, en s’abandonnant à l’impression et au spectacle du moment », et déambuler comme « marcher sans but précis, selon sa fantaisie ». On entrevoit dans la première définition ce que Balzac appréciait à propos de la flânerie : « flâner, c’est vivre, c’est jouir, c’est admirer de sublimes tableaux », etc. Bref, une activité à part entière, un but en soi, et un enrichissement de l’existence. Pas grand-chose de commun donc – à part l’usage modéré de ses jambes – avec la déambulation, qui se réduit à un trajet aléatoire et dont aucune expérience n’est a priori attendue. En des termes plus crus, celle-ci relèverait un peu de la glandouille, et ne serait pas tellement plus enrichissante que de faire les cent pas dans un hall de gare. La déambulation n’a par ailleurs rien à voir avec la marche urbaine, activité éminemment pratique, et il serait dommageable de les confondre, car il reste encore un tas de gens pour lesquels la marche est un moyen de se rendre efficacement d’un point A à un point B sans traîner en route, et leurs besoins ne sont pas les mêmes que ceux du déambuleur.

Il me semble donc qu’on aurait tout intérêt à promouvoir la flânerie pour ceux qui en ont le temps ou l’occasion, et la marche urbaine pour les assujettis aux triviales contraintes de l’existence, tout en laissant la déambulation dans les pages du dictionnaire, où elle est bien au chaud entre le dealer et la débâcle.

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