Les jeux des enfants, un sujet politique

Une rue de Londres, années 1960. Mary Evans / Picture Library.

Le Guardian du 24 mars 2024 proposait un excellent article intitulé « Regardez les rues et les espaces ouverts : où sont les enfants ? », qui fait le lien entre plusieurs sujets abordés dans ce blog et pose en termes politiques la question de la raréfaction des enfants dans les espaces extérieurs en Grande-Bretagne. L’auteur, Harriet Grant, rappelle que tout le monde semble s’inquiéter du mal-être des enfants et de leur addiction croissante au numérique, mais elle remarque qu’on ne s’intéresse pas beaucoup à « la disparition presque totale des enfants et de leurs jeux dans les rues et les quartiers ». L’envahissement de l’espace par la voiture en serait une cause, comme la fermeture d’espaces dédiés aux jeunes, pour des raisons d’austérité budgétaire. Mais ce n’est pas tout.

Mme Grant, après cinq années d’enquêtes, considère qu’une « guerre au jeu » a été déclarée dans son pays par les autorités. Le jeu informel dans les espaces extérieurs, notamment les jeux de ballon, serait de plus en plus considéré comme un comportement anti-social, et il s’ensuivrait que les pratiques de jeu sont de plus en plus parquées dans des lieux réservés. Le sujet prend un tour politique, car une enquête parlementaire est en cours sur les enfants, les jeunes et l’environnement bâti, afin de savoir comment on pourrait planifier en faveur des besoins des enfants plutôt que contre eux.

Le 25 mars, la commission d’enquête demande au ministre du logement et à la responsable de l’urbanisme au sein du gouvernement pourquoi les enfants sont oubliés par la planification, une députée suggérant même fielleusement qu’ils ont « moins d’importance que les chauves-souris ». Le ministre Lee Rowley répond qu’il n’y a pas besoin de mentionner spécialement les enfants dans les documents de planification, au motif que si on le faisait, il faudrait peut-être aussi, tant qu’on y est, s’occuper des personnes handicapées ou des non autochtones ; or, on a bien compris que le gouvernement britannique ne donne pas dans le wokisme et qu’il travaille pour les gens normaux, surtout ceux qui votent pour lui, et pas pour des cabossés ou marginaux en tous genres qui n’ont qu’à se prendre en charge eux-mêmes. L’objectif de Rowley, c’est de « faire construire des maisons », et en ce qui concerne l’offre d’espaces de jeux pour les enfants, il déclare superbement « les choses se sont améliorées, je ne peux pas fournir de preuves mais je suis sûr que c’est le cas », balayant les preuves contraires présentées à l’enquête ainsi que les énormes coupes dans les budgets spécifiques des collectivités locales.

Lors d’une précédente réunion de la commission d’enquête, il avait été souligné tant par des experts que par un député travailliste que les enfants étaient « complètement ignorés » par la planification urbaine, que les directives nationales d’urbanisme les mentionnent moins que les camions, et que « les tritons et les chauves-souris soient mieux protégés que les jeux ». Dans le même ordre d’idées, Mme Grant mentionne l’exemple de la ville de Rhyl, dans un des secteurs les plus pauvres du Pays de Galles, où la construction d’ouvrages de défense contre les submersions marines aura fait disparaître, sans concertation préalable, un terrain de jeux très apprécié : un habitant déplore que « l’impact de ce projet sur l’écosystème marin aura davantage été discuté que son impact sur les enfants ».

S’il est douteux qu’en France, les terrains de jeux pour les jeunes aient été affectés par des coupes budgétaires comme ils l’ont été en Grande-Bretagne, il y a au moins deux points dans cet article qui font écho à ce que nous connaissons ici : la quasi-absence des enfants dans les documents de planification urbaine (voir par exemple ici) ; et le fait que ces documents aient des comptes à rendre sur des questions de biodiversité et d’écologie, ce qui est une excellente chose, mais absolument pas sur les conditions de vie, de bien-être et d’épanouissement des habitants considérés dans la diversité de leurs besoins, et non en tant qu’entité abstraite.

NB : Harriet Grant s’intéresse particulièrement aux enfants dans l’espace public, sujet sur lequel elle a publié de nombreux articles d’un grand intérêt et engagés, sur des sujets concrets et souvent polémiques. Tous ses articles du Guardian sont accessibles ici. Elle est en partie à l’origine de la création de la commission d’enquête sus-mentionnée, du fait qu’elle dénonce sans relâche des situations scandaleuses et permet à des initiatives locales de bénéficier d’une audience nationale.

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