Dans son excellent livre « Fouloscopie : ce que la foule dit de nous », le chercheur français Mehdi Moussaïd (Institut Max Planck, Berlin) évoque les mécanismes qui conduisent à la formation des « lignes de désir », un sujet dont nous avons souvent parlé. Il mentionne dans ce passage les travaux de Dirk Helbing (université de Stuttgart), qui ont été publiés dans la revue Nature (Helbing, D., Keltsch, J. & Molnár, P. Modelling the evolution of human trail systems. Nature 388, 47–50 (1997). Un des intérêts de cette approche est qu’elle présente les lignes de désir comme un phénomène évolutif déterminé par divers paramètres (le plus court chemin, l’intensité des flux, la praticabilité…) et que contrairement à ce qu’on pourrait penser, le réseau de lignes de désir qui est spontanément tracé par les piétons à travers un terrain nu n’est pas forcément le réseau optimal sur le long terme. J’en conclus pour ma part que si le relevé des lignes de désir peut aider à concevoir l’aménagement d’un espace, il ne faut pas se précipiter pour réaliser des cheminements « en dur » sur cette base : la modélisation des flux, ou alors un temps d’observation plus long, peut aider à définir les meilleurs tracés dans des situations complexes.
Voyons pour commencer ce qu’en dit Mehdi Moussaïd :
« [l’étude de Helbing] porte plus spécifiquement sur la formation de pistes sur les pelouses des parcs ou sur les campus universitaires. Il a remarqué que sur ce support malléable, le passage répété des piétons donne naissance à des chemins de terre. Plus ces derniers deviennent visibles, plus ils sont empruntés, ce qui en retour accentue encore leur visibilité. (…)
En réalité, il ne s’agit pas seulement d’un petit chemin. C’est tout un réseau de pistes qui peut émerger de la sorte, connectant les lieux les plus populaires par les accès les plus rapides. Une cartographie sur mesure, adaptée aux besoins des individus. Ce n’est pas tout. A l’instar de la phéromone qui s’évapore, faisant progressivement disparaître les chemins trop longs ou inutilisés, l’herbe du parc repousse. Cela rend le réseau dynamique et flexible. Si un restaurant ferme ses portes, le passage qui y conduit se dissipe petit à petit. (…) Nul besoin d’un architecte, la foule s’en occupe ! »
L’étude de référence d’Helbing (accessible ici) est plus technique et plus riche, d’ailleurs c’est en partie des trucs de matheux avec plein de formules auxquelles je ne comprends rien, mais j’en retiens notamment la figure ci-contre qui présente une modélisation des flux de piétons à travers un quadrilatère. On y constate que la structure des cheminements (en bleu) évolue considérablement au fil du temps, les cheminements périphériques les moins fréquentés étant progressivement remplacés par un dispositif hybride représentant le meilleur compromis entre les circulations périphériques et transversales. Cette évolution aboutit à réduire notablement le linéaire de cheminements, et on voit tout de suite l’intérêt de cette approche pour la conception d’espaces verts fonctionnels, optimisant à la fois le dispositif de circulation et la place affectée à la verdure.