Jane Jacobs, la rue et les espaces verts (1)

Un angle de rues à New-York.

Dans son livre « Déclin et survie des grandes villes américaines », déjà évoqué ici, Jane Jacobs considère que la rue est l’espace de jeux et d’apprentissage le plus naturel et le plus stimulant pour les enfants des villes, et que la multiplication des espaces verts et terrains de jeux théoriquement « sécurisés » traduit le fait que les enfants ont progressivement été exclus de la rue pour toutes sortes d’excellentes raisons, notamment morales. La langue française nous offre d’ailleurs diverses expressions rappelant les périls moraux associés à la rue : « gamins des rues », « filles des rues », « être à la rue », « faire le trottoir », « tomber dans le caniveau » ou « dans le ruisseau », etc. Voici ce qu’en dit Mme Jacobs :

« Parmi les superstitions qui ont cours dans les milieux de l’urbanisme et de l’architecture, il y en a une particulièrement fantaisiste qui concerne l’influence néfaste exercée par la rue sur les enfants, et qui se résume de la façon suivante : un certain nombre d’enfants sont condamnés à jouer dans la rue. Les enfants pâlichons et rachitiques qui sont plongés dans cette sinistre ambiance morale tiennent des propos licencieux, ricanent vicieusement et apprennent sans cesse de nouvelles formes de dépravation, comme s’ils étaient en maison de correction. (…) Si seulement on pouvait enlever de la rue ces pauvres enfants démunis et les mettre dans des jardins publics ou des terrains de jeux dotés d’équipements sportifs, d’espace pour courir et de gazon pour élever leurs âmes ! Bref, des endroits limpides et joyeux, remplis du rire d’enfants heureux de se retrouver dans un si bel environnement ».

West Side Story, 1957

L’auteur sait un peu de quoi elle parle, car elle a vécu et élevé ses enfants à New-York à la belle époque de West Side Story où des gangs sévissaient un peu partout, et elle tire de son expérience comme de ses recherches le constat que rien n’est plus sûr que des rues animées placées sous la surveillance permanente des adultes, tandis que les lieux où les enfants sont les plus exposés à la délinquance sont aussi bien des espaces verts peu fréquentés (et peu surveillés) que des recoins urbains à l’abri des regards. Selon Jane Jacobs, « les trottoirs d’une cité, surtout s’ils sont très animés, permettent aux enfants de se livrer à leurs jeux sur un mode tout à fait informel. Et lorsqu’on transporte cette activité sur des terrains de jeux et des jardins publics, non seulement on n’en assure pas la sécurité, mais on gaspille de l’argent en personnel et en matériel ainsi que de l’espace, au lieu de consacrer ces moyens à construire des patinoires, des piscines, des bassins de canotage et des terrains de sports. Bref, les jeux les plus simples, qui ne nécessitent pratiquement pas de matériel et qui sont normalement pratiqués dans les rues, absorbent des fonds qui pourraient financer des activités sportives spécialisées ».

A suivre !

2 commentaires

  1. Hors questions de délinquance et autres « périls moraux », ne pas oublier que la rue d’hier (« New-York à la belle époque de West Side Story ») et ses trottoirs ont aussi probablement pas mal évolué en terme de densité de circulations et de fréquentation : vélos, automobiles, motos, taxis, bus, mais aussi maintenant rollers, trottinettes, skateboards, scooters…(sauf si on ne parle que des rues piétonnes)

  2. Nous sommes bien d’accord ! Et c’est justement pour ça que j’ai prévu une suite à cet article. Mais cela nous renvoie aussi à la notion moderne de « roues jouables », qui a d’ailleurs fait l’objet d’articles dans ce blog il y a quelques mois et qui fait un retour remarqué dans certaines villes, tant à Rotterdam qu’à Pontevedra. Vänliga hälsningar !

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