Diversité écologique et sensation de bien-être dans les espaces verts urbains

Espace vert à Rennes

La méthode des sociotopes renvoie souvent, mais implicitement, à la diversité écologique, au travers de valeurs telles que « oasis verte », « impression de nature », « spectacle des fleurs » ou « présence d’animaux ». Elle se réfère aussi à la notion de bien-être, exprimée dans les entretiens par des formulations diverses (« calme », « détente », « ressourcement », « déconnexion », etc). Est-il possible de corréler le niveau de bien-être au niveau de diversité écologique d’un espace vert, alors que l’appréciation de cette diversité peut passer pour une affaire de spécialistes ? Voilà la question à laquelle s’est attaquée une équipe de chercheurs (1) de l’université de Rennes, qui a publié son étude (en anglais) dans la revue « Landscape and urban planning » n° 195 (2020) (téléchargeable ici).

Pour y répondre, il va s’agir :

  • d’abord de mesurer objectivement le niveau de diversité de 13 espaces verts rennais en termes d’ « hétérogénéité paysagère », celle-ci reposant sur huit classes d’occupation du sol ;
  • puis de mesurer l’hétérogénéité paysagère telle qu’elle est perçue par les usagers et exprimée au travers de questionnaires, demandant d’évaluer le niveau de diversité sur une échelle de 0 à 5.
  • puis de mesurer le niveau de bien-être des usagers au travers de 15 questions telles que « Cet espace vert vous permet de vous sentir proche de la nature », ou « Cet espace vert stimule vos sens », ou encore « Ici vous pouvez facilement pratiquer des activités qui améliorent votre bien-être mental ».
  • puis d’analyser le tout pour voir s’il en ressort des corrélations significatives entre ces thèmes, et les chercheurs utilisent pour cela des tas de formules mathématiques auxquelles je ne comprends rien et dont, de ce fait, je vous fais grâce.

Les auteurs relèvent d’abord que les usagers perçoivent très bien la diversité biologique même s’ils n’ont pas de compétences naturalistes, au travers de la notion d’hétérogénéité (des modes d’occupation du sol, des structures de végétation…). Ils en concluent que pour sensibiliser le public à la biodiversité, il est sans doute plus efficace de travailler sur la complexité structurelle de la végétation que de se focaliser sur la diversité des espèces : voilà déjà un enseignement directement utilisable par les gestionnaires d’espaces verts.

Ils notent également une forte corrélation entre la diversité et l’imbrication des modes d’occupation du sol d’une part, et le niveau de bien-être (plus précisément de « psychological restoration ») d’autre part – sachant que cette notion d’occupation du sol englobe ici des types de végétations tels que gazon, herbe haute, parterres de fleurs, buissons, arbustes, arbres etc).

Les questionnaires prenant également en compte diverses données relatives aux enquêtés (entre autres le sexe et les conditions de vie durant l’enfance), il ressort de l’analyse que les femmes expriment une plus forte relation entre le bien-être ressenti et l’hétérogénéité paysagère perçue, ce qui confirmerait une hypothèse selon laquelle « les femmes tendraient à préférer les végétations naturelles aux végétations composées [designed] ». En outre, une même corrélation apparaît pour les personnes ayant vécu à la campagne durant leur enfance, ce qui vérifierait que « un manque d’exposition à la nature durant l’enfance réduit les expériences perceptives de l’environnement naturel et la connexion émotionnelle à la nature ».

Jardin public à Aurillac

Soucieux d’applications concrètes de leur travail, les auteurs concluent que « de telles recherches devraient trouver des débouchés dans la planification et la gestion des espaces verts. Un des défis consiste à comprendre comment modeler leur végétation de manière à accroître à la fois la biodiversité et le bien-être psychologique des visiteurs. A partir de nos résultats, nous pensons qu’un progrès en ce sens serait de mélanger les boisements, les buissons, les espaces herbeux, les parterres floraux, les surfaces en eau et les sols minéraux sur l’ensemble d’un site. Une manière d’y parvenir serait de planter la végétation en prenant en compte les hauteurs, de manière à accroître le volume de la scène et à créer de la profondeur et de la complexité visuelles ».

De notre point de vue (dans le cadre de ce blog), les conclusions de cette étude ne sont peut-être pas toutes fracassantes car, lorsqu’on enquête auprès des usagers d’espaces verts, ces corrélations se devinent assez facilement – mais on est là dans l’empirique, et un des intérêts de ce travail est de les asseoir sur des bases méthodologiques solides. D’autres intérêts majeurs se dégagent à mon sens :

Cette étude remet d’abord en cause le prétendu attachement culturel de nos concitoyens au « propre » – c’est à dire, en matière d’espaces verts, à la stérilité de la steppe de gazon tondu ras et du parterre floral « à la française ». Les services Espaces verts de nos communes feraient bien de se rappeler, lorsqu’ils se retranchent derrière la formule « C’est ce que les gens veulent » pour justifier leurs bégonias au cordeau, qu’il peut y avoir de la marge entre le jugement « socialement légitime », que l’on exprime en public, et ce que les gens aiment au fond d’eux-mêmes et recherchent sans forcément en avoir conscience.

Elle a aussi le mérite de rappeler que l’on peut parfaitement étudier conjointement, dans les trames vertes urbaines, les fonctions écologiques et les fonctions sociales des espaces verts, et qu’il y a même tout intérêt à le faire. Elle apporte ainsi sa pierre au dépassement du funeste clivage entre le monde « naturel » et le monde « social ».

(1) Alice Meyer-Grandbastien, Françoise Burel, Emmanuelle Hellier, Benjamin Bergerot

Merci à Katell Chomard pour l’information

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