Cet après-midi, histoire de profiter du beau temps et d’une date favorable (les mercredis après-midi sont souvent gratifiants pour les sociotopologues), je poursuis un travail d’enquête auprès des usagers d’un quai portuaire au bord d’un estuaire breton. Ce quai sablier est peu utilisé par les bateaux, ce qui ne l’empêche pas d’être interdit au public, mais cette interdiction n’empêche pas non plus les autochtones d’y pratiquer diverses activités. Car, comme nous l’avons signalé maintes fois, dans notre beau pays, le panneau d’interdiction est souvent considéré comme un ornement du paysage ou, au mieux, comme une information utile pour maintenir la vigilance en éveil, au cas où un képi se pointerait à l’horizon.
Or donc, je trouve là cet après-midi un type en train de piquer un roupillon dans sa voiture (mais avec vue sur mer, tant qu’à faire), ainsi que trois messieurs essayant de pêcher la crevette rose à la balance depuis le quai, et trois garçons venus pour faire de spectaculaires plongeons – l’un d’eux est d’ailleurs un habitué et je l’avais déjà interrogé. Ces jeux ne sont pas sans danger, d’autant que d’après l’ « expert » du lieu – un monsieur âgé qui vient ici presque chaque jour – , on trouve de temps en temps sous le quai des voitures volées ou expédiées là dans le cadre d’escroqueries à l’assurance. Et comme l’eau de l’estuaire est à peine plus limpide que de la purée de pois, les plongeurs pourraient avoir de mauvaises surprises.
Que faire de ces usages « informels » dans un projet de réaménagement du quai pour de nouvelles fonctions portuaires ? Si les activités sans risques (promenade, pause face à la mer, pique-nique…) doivent être prises en compte et maintenues, voire favorisées, il semble qu’il n’y ait pas lieu d’intégrer les activités à risque (y compris la pêche au ras du quai), qui continueront de toute manière de se pratiquer pour le plaisir du détournement d’usage et de la transgression, aux risques et périls de leurs adeptes.
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Les usages mixtes des quais sont une tendance intéressante à approfondir. Même en fluvial, j’ai eu l’occasion de le faire avec Ports de Paris, c’est une patiente négociation. D’un autre côté, la tendance à l’aseptisation de l’espace public et l’aversion grandissante du corps social pour le risque sont un sujet qui mérite bien des nuances et des résolutions subtiles… Quand une interdiction est incomprise elle a moins de chances d’être respectée certes (le jeune sait-il qu’il risque de heurter une carcasse ?) mais la prise de risque et la « performance » sont des moteurs de certains jeunes mâles en particulier ^^. Quelle forme que puisse prendre le monde, ils trouveront (j’espère) toujours des lieux pour manifester cette jeunesse exubérante qui est la leur !
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