Déjà que la notion d’espace public n’est pas simple… qu’est-ce que ça va être avec cette histoire d’espaces « semi-publics » ? Pourtant, il peut être intéressant d’aborder le sujet à une époque où les « partenariats public-privé » sont en vogue.
En pratique, il y a des espaces privés qui peuvent être expressément ouverts au public. Un exemple classique est à New-York, où les constructeurs de gratte-ciel peuvent être autorisés à dépasser un seuil de hauteur à la condition de créer une « plaza » qui leur appartient mais qui doit être accessible au public. Voir par exemple la place de l’immeuble Seagram, où William Whyte a tourné son film sur les « small urban spaces ». En sens inverse, il y a aussi des espaces publics (= propriétés de collectivités publiques) qui peuvent être ponctuellement affectés à des activités privées, tout en étant globalement destinés à l’usage du public ; on en trouve des quantités d’exemples chez nous, des gares aux plages en passant par les trottoirs.
A Aix-la-Chapelle, des chercheurs ont étudié le cas de la Bücherplatz, qui montre une imbrication complexe de statuts juridiques et d’usages. Cette place, réalisée dans le cadre de la construction d’un ensemble commercial en 1961, est un espace privé jouxtant une rue publique. Le permis de construire stipulait à l’époque que la place devait être librement accessible au public. C’est une librairie, donnant directement sur la place, qui donna son nom à celle-ci (« Place aux Livres ») et il est intéressant de constater que tout le monde, libraire et visiteurs, tirait profit de cette situation (dans le jargon à la mode, on appelle ça du « gagnant-gagnant » !). Sur cette place, il y a aussi une terrasse saisonnière de café, ainsi qu’un distributeur bancaire (privé) et un terrain de jeux (ensemble de mobilier public posé donc sur un espace privé). On entrevoit les difficultés concrètes lorsqu’il s’agit de savoir qui doit nettoyer les surfaces, vider les poubelles, entretenir les équipements, arroser les bacs à fleurs et assurer la sécurité.
Mais nous sommes en Allemagne, et tout s’est plutôt bien passé jusqu’à ce que d’une part le terrain soit vendu à un groupe immobilier, moins sensible que le précédent propriétaire à l’ouverture au public, et jusqu’à ce que la commune décide d’englober la place dans un grand projet de réaménagement du centre-ville, incluant cette place. La municipalité et le bureau d’études ayant malencontreusement oublié d’associer le propriétaire à la réflexion, celui-ci découvrit tardivement le projet et les obligations mises à sa charge, et il refusa net, soutenant que la librairie et le café pouvaient très bien fonctionner sans le nouveau « design » dont ils n’étaient pas demandeurs.Le projet capota donc et se limita à la bande de trottoir public longeant la place.
La morale de l’histoire, selon les chercheurs qui ont étudié cet exemple, c’est que la collaboration entre des acteurs municipaux et privés pour produire des espaces à usage public est utile, surtout lorsque les budgets publics diminuent, et qu’elle peut donner d’excellents résultats ; mais c’est aussi qu’elle n’est pas toujours durable, soit parce que le propriétaire change (ou change de point de vue), soit parce que la collectivité modifie ses intentions. Les solutions résident d’une part dans une bonne planification des projets publics, d’autre part dans une coopération régulière entre les acteurs et une association des partenaires privés à l’amont des projets qui les concernent.
Les « partenariats public – privé » peuvent donc être envisagés pour produire de l’espace ouvert au public, à condition de réfléchir à ces trois questions :
- Quels espaces urbains peuvent profiter d’une co-production, et quels rôles jouent-ils dans le réseau des espaces ouverts d’une ville ?
- Quels acteurs ont quels intérêts dans les espaces urbains, et comment peuvent-ils contribuer au développement et à la gestion d’un espace ?
- Que faut-il prendre en compte quand différents acteurs partagent la responsabilité d’un espace, et comment peut-on garantir un équilibre durable ?
Traduit et adapté de « Challenges in Co-Producing Publicly Accessible Spaces – The example of Bücherplatz in Aachen », par Ulrich Berding & Antje Havemann & Juliane Pegels, le 19/09/2012 (source : http://www.metropolitiques.eu). Document d’origine ici. Figures des auteurs.
Date de l’article d’origine : 28 janvier 2013