Un sociotope à Alger

Le jardin de l’Horloge Florale (auteur inconnu).

Née en Suède, la méthode des sociotopes a traversé la Méditerranée. Elle est en effet en train d’être mise en œuvre par Salima Aliou, enseignante-chercheuse au département d’architecture de l’université de Tizi Ouzou, dans le cadre de sa thèse de doctorat portant sur l’analyse sociologique de la perception des paysages. Spécialement intéressée par les phénomènes d’abandon et de marginalisation des espaces verts publics, elle a choisi de travailler sur un espace vert du centre d’Alger, reliant le port de commerce à des hauteurs occupées par des bâtiments publics.

Ce qui pourrait être une continuité verte urbaine est en réalité une modeste succession de petits parcs (1,4 ha pour une longueur de 300 m), fragmentés en trois morceaux par de larges voies et ceinturés de rues également larges. Vers le bas, le parc vient buter sur un parking puis sur la clôture des quais à conteneurs. Vers le haut, il s’achève sur des édifices gouvernementaux placés sous haute sécurité. De cette situation d’enclavement au cœur de la capitale résultent comme il se doit une sous-utilisation ainsi que des pratiques « indésirables », associées à la présence de marginaux, lesquelles à leur tour peuvent dissuader de fréquenter certaines parties du lieu. Dans l’ensemble, ce parc apparaît davantage comme un lieu de passage que comme une destination attractive.

Pourtant, le lieu est plein de potentiel : il est fleuri et ombragé, sa forte dénivellation offre une belle vue sur la baie d’Alger, il est très utilisé par des travailleurs des alentours qui viennent y pique-niquer, les amoureux y ont des coins de rencontre discrets (là-bas, les kissing places semblent être plutôt à l’écart des foules)… On y trouve aussi des points d’intérêt originaux, comme l’horloge florale ou encore un curieux monument avec « deux poings levés, brisant les chaînes du joug colonial », qui a la particularité d’enfermer dans le béton l’ancien monument (français) aux morts de la guerre de 1914-18.

Méthode des sociotopes en mains, Mme Aliou a donc entrepris d’observer le lieu, elle a interrogé une centaine d’usagers et dressé la carte des « valeurs de sociotope » comme le pique-nique, la beauté florale ou la rencontre. Au-delà de ce constat, son propos est de repérer les dysfonctionnements, les potentiels sous-utilisés, et de proposer aux autorités locales des mesures pour que ce parc vive mieux – sachant qu’un projet élaboré par un bureau d’études portugais, proposant judicieusement de donner une continuité au parc, avait été rejeté. La création récente d’une rue piétonne dans ce secteur, pour la première fois à Alger, peut être vue comme un signe encourageant.

En attendant d’autres nouvelles de ce projet, ceux qui comme moi ne connaissent pas l’Algérie peuvent lire le magnifique « Noces à Tipasa » d’Albert Camus, un des plus beaux textes de la littérature française et un hymne à la beauté de ce pays : « Vers le soir, je regagnais une partie du parc plus ordonnée, arrangée en jardin. Au sortir du tumulte des parfums et du soleil, dans l’air maintenant rafraîchi par le soir, l’esprit s’y calmait, le corps détendu goûtait le silence intérieur qui naît de l’amour satisfait. Je m’étais assis sur un banc. Je regardais la campagne s’arrondir avec le jour. J’étais repu. Au-dessus de moi, un grenadier laissait pendre les boutons de ses fleurs, clos et côtelés comme de petits poings fermés qui contiendraient tout l’espoir du printemps. Il y avait du romarin derrière moi et j’en percevais seulement le parfum d’alcool. Des collines s’encadraient entre les arbres et, plus loin encore, un liséré de mer au-dessus duquel le ciel, comme une voile en panne, reposait de toute sa tendresse. J’avais au cœur une joie étrange, celle-là même qui naît d’une conscience tranquille. »...

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