Dans les beaux quartiers

Parc de Passy (Paris 16è)

C’est le titre d’un récit de « voyage ethnologique » publié en 1989 par les sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, qui ont consacré une grande partie de leur carrière à l’étude du gotha parisien, de son mode de vie et de ses ghettos dorés. L’ouvrage débute comme il se doit par une citation du roman d’Aragon « Les Beaux Quartiers » (1970) : 

« Sur l’autre rive débutent les beaux quartiers. Ouest paisible, coupé d’arbres, aux édifices bien peignés et clairs dont les volets de fer laissent passer à leurs fentes supérieures la joie et la chaleur, la sécurité, la richesse (…). Ce long bateau de quiétude et de luxe dresse son bord hautain avec les jardins du Trocadéro et ce qu’il reste encore de la mystérieuse Cité des Eaux (…) : subite campagne enclose dans la ville avec les chemins déserts du parc morcelé, la descente aux coins noirs où des amoureux balbutient. Puis c’est la ville aisée (…) : cela remonte vers le nord, cela redescend vers le sud, cela coule le long du bois de Boulogne, cela se fend de quelques avenues, cela porte des squares comme des bouquets accrochés à une fourrure de haut prix« .

La question du rapport aux espaces verts est présente en filigrane dans tout le livre, notamment parce que la présence de parcs et jardins à proximité de l’habitation est un élément de prestige qui valorise celle-ci comme ses habitants, et qu’elle participe à créer un environnement de qualité. Des élèves de CM2 habitant Neuilly en témoignent, en réponse à un questionnaire sur le thème « Qu’est ce que vous aimez dans votre quartier ? » :

– Je trouve que Neuilly est une ville très belle, il y a beaucoup d’arbres, de jardins…

– C’est un quartier boisé et fleuri, il y a le Jardin d’acclimatation…

– Nous avons un parc près de chez nous qui longe notre jardin, en hiver il est plein de neige, le trajet pour aller à l’école est agréable car il y a des arbres, tous les dimanches nous allons au Jardin d’acclimatation qui n’est pas loin de chez moi…

Mais le parc public pose aussi des problèmes lorsque l’on érige l’entre-soi en art de vivre, car on peut y faire de mauvaises rencontres et s’y exposer à des dangers. A ce titre, « le bois de Boulogne, qui offre à ses riverains aisés un lieu de détente commode, puisqu’ils peuvent s’y rendre à pied, est à certaines périodes envahi d’une foule que la haute société n’a guère plaisir à côtoyer. Sans compter la présence de familles espagnoles ou portugaises, elles aussi venues en voisines depuis leurs loges de concierge, qui pique-niquent sur les pelouses par les beaux dimanches ensoleillés. Et la prostitution qui envahit certaines allées proprement infréquentables ». C’est pourquoi ce parc, tout public qu’il est, comporte un certain nombre d’enclaves concédées à des cercles privés et en général bien dissimulées (8,8 ha pour le Cercle du Bois de Boulogne, 6,6 pour le Racing Club de France, 8,6 pour le Polo de Paris…), au sein desquelles un public d’adhérents triés sur le volet peut se retrouver à l’abri des regards et en toute sécurité.

La superposition du périmètre des « beaux quartiers » proposé par les auteurs et celle de la distance aux espaces verts (voir carte ci-contre) montre que lesdits quartiers (7è, 8è, 16è, sud du 17è)  sont particulièrement bien pourvus en verdure. C’est également le cas de certains quartiers plus populaires, tels que les 19è et 20è arrondissements, mais les densités de population y sont sensiblement plus élevées (14.000 habitants/km² dans le 7è contre 33.000 dans le 20è), ce qui se traduit par une pression d’utilisation plus forte.

Date de l’article d’origine : 28 décembre 2015.

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