Des statues qui animent l’ « espace public »

photo Habib Kaki / domaine public

Les statues sont un thème qui revient de temps à autre dans ce blog, par exemple ici. Si toutes ont leur intérêt, ne serait-ce que comme perchoirs pour les oiseaux, certaines sont de véritables point focaux au sein des espaces publics, et il y en a même qui animent l’ « espace public » au sens de « sphère publique« . Des exemples m’en ont été donnés par Salima Aliou (université de Tizi-Ouzou en Algérie), avec cette statue d’un parc d’Alger qui, célébrant la lutte contre la colonisation, recouvre dans un sarcophage de béton le monument aux morts de la guerre de 1914-18 élevé par les Français, et dont les noms français avaient préalablement été effacés – on est là dans la « cancel culture », même si le monument d’origine est toujours en place.

Un exemple plus intéressant est celui de la fontaine Aïn el Fouara, à Sétif. Œuvre d’un sculpteur français, édifiée en 1899, elle représente une dame dénudée et fort gironde, à laquelle les habitants demeurent paraît-il très attachés même si elle offense les tartuffes locaux. L’un d’eux, « atteint de déficience mentale » selon la police, avait entrepris de la vandaliser en 2017, mais des habitants tentèrent de le déloger en lui jetant des pierres. En 1997, elle avait déjà été dynamitée par des islamistes puis, d’après Le Monde, « réparée en quarante-huit heures après une exceptionnelle mobilisation des habitants de Sétif ». Commentant l’événement dans un article assez équilibré de la revue en ligne « L’Algérie patriotique » au sujet du patrimoine colonial, Khider Mesloub cite le curieux propos d’un ami français : « A la vue de la photo de la statue, mon camarade, pourtant athée et libre d’esprit, m’a confié spontanément la trouver très indécente, patrimonialement déplacée ». Chacun appréciera, au vu de la photo ci-dessus. Mais si on peut comprendre que les Algériens aient voulu se débarrasser de la statue du général Bugeaud, grand massacreur de populations civiles, ou encore de Jeanne d’Arc, on peut aussi comprendre que certains aient envie de conserver ce souvenir, nettement plus aimable, de l’ancien temps.

Que les statues soient au centre de vifs débats, que certaines changent de place pour échouer dans des entrepôts, dans l’attente peut-être de jours meilleurs, ce n’est pas nouveau, de même que les dégradations et les dynamitages. Même le modeste monument aux morts de la petite commune de Gentioux (Creuse, 400 habitants), qui n’a jamais cessé d’attirer du monde, n’échappe pas aux dégradations et aux polémiques – on y voit en effet, à la place du valeureux Poilu, un petit paysan limousin tendant le poing vers le message « Maudite soit la guerre », et c’est ainsi un des rares monuments aux morts pacifistes de ce pays. Il est malheureusement très mal mis en valeur, noyé dans le bitume en plein milieu d’un carrefour. Si vous voulez aller le voir, sachez qu’il vient d’être enlevé pour nettoyage ; mais à quelques mètres de là, près du lavoir municipal, si vous n’êtes pas offusqué par l’ « indécence » d’une tenue légère, vous pourrez toujours vous consoler avec la statue d’une personne presque aussi avenante que celle de la fontaine Aïn el Fouara.

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