Certains parcs publics sont habités en permanence par des gens dont la mémoire est gravée dans le marbre ou le granite, dans des statues ou sur des stèles, à tel point qu’on en arrive à se demander si une des principales fonctions de ces parcs n’est pas de servir de réceptacle à ces installations. Cet effet d’accumulation me frappe pour la première fois dans le parc central d’Oloron-Sainte-Marie (Pyrénées-Atlantiques), puis cette impression me poursuit dans le parc Beaumont à Pau. Entre les morts des deux guerres, les déportés, les résistants, les notables locaux, le poète du cru qui compare sa petite amie à une bouteille de jurançon ou l’hommage aux communautés indiennes du Brésil d’Amazonie, il y a du monde, et le sociotopologue de passage s’interroge sur ce que tout cela peut bien apporter à la qualité et à l’attractivité des parcs. Il y aurait là matière à une vaste dissertation, pourquoi pas à une thèse. Tenons-nous en à quelques brèves remarques.
Au premier degré, et en faisant abstraction du côté parfois surréaliste de ces accumulations hétéroclites, on peut être touché par l’évocation d’un drame humain, séduit par une République aux formes généreuses ou simplement content de faire connaissance avec un éminent personnage ou une tranche d’Histoire dont on ignorait l’existence. Statues et stèles jalonnent le parcours, attirent le regard et peuvent constituer des points focaux, elles suscitent la curiosité, servent de perchoirs aux oiseaux, il y a souvent des fleurs autour, tout cela est bon à prendre. Et on ne doute pas que la statue d’Arsène Vermenouze, qui orne le parc municipal d’Aurillac, incite les jeunes générations à lire ce poète.
Au second degré, les statues et monuments offrent souvent des possibilités de détournement que le public trouve tout seul, qu’il s’agisse de grimper dessus (les pauvres Marx et Engels en savent quelque chose à Berlin), de les affubler d’un masque anti-Covid, de les peindre en rose, de caler une botte de poireaux dans les bras du Poilu ou de casser la croûte sur le socle.
Toujours au second degré, on peut trouver là d’involontaires leçons de politique. Lorsqu’on parcourt l’adorable jardin de l’Évêché à Limoges, on peut tomber sur la statue de Louis Longequeue, « maire de 1956 à 1990 », et saluer cette admirable longévité politique (34 ans de mandat !) ou s’interroger sur le système verrouillé qui permit à ce monsieur d’occuper le terrain pendant si longtemps. Retour à Oloron-Sainte-Marie maintenant pour nous incliner devant la statue de Louis Barthou, « Président du Conseil Général, député et sénateur des Basses-Pyrénées, Président du Conseil, Ministre des Affaires Étrangères, membre de l’Académie Française ». Ce peut être l’occasion de s’extasier sur la méritocratie républicaine (le papa de M. Barthou fut le modeste inventeur d’un tire-bouchon) ou de pester contre les notables, les cumulards et les « importants » en tous genres qui bouchent l’horizon à des tas de gens au moins aussi capables qu’eux, et qui finissent statufiés dans les jardins publics. Une conclusion pleine d’espoir nous est donnée par Clemenceau : « Les cimetières sont pleins de gens irremplaçables, qui ont tous été remplacés ».
Voir aussi dans ce blog : Détournements de sculptures.