A l’automne dernier [nb : le présent article date du 14 mars 2018] est paru aux PUF un livre intitulé « Les batailles du dimanche », par Jean-Yves Boulin et Laurent Lesnard, qui traite de la banalisation du travail le dimanche et de la régression consécutive de la notion de « repos dominical ». Je n’ai pas lu ce livre, mais ce que j’ai lu à son sujet m’incite à envisager les sociotopes sous cet angle, et comme je tombe hier sur un texte de Nicolas Bouvier évoquant « l’immense ennui des dimanches », je me dis que c’est le moment d’aborder la question.
Notons d’abord que le dimanche n’est pas forcément rose pour tout le monde, comme le suggère Bouvier. Si Jean Gabin célébra naguère les dimanches au bord de l’eau, Charles Trenet chantait quant à lui « Les enfants s’ennuient le dimanche »… Mais quoi qu’il en soit, si vous devez faire une étude de sociotopes ou n’importe quelle enquête du même genre, vous avez intérêt à être sur le terrain le dimanche car c’est là que vous avez le maximum de voir toutes sortes de gens dehors, y compris et notamment des tribus en balade.
La journée du dimanche comporte deux phases distinctes. Le matin est le moment des sportifs – plutôt des messieurs, d’ailleurs, qui vont courir, jouer au foot ou faire du VTT et rentrer tout crottés, pendant que madame est à ses fourneaux. L’après-midi, en principe, on sort. La diversité des pratiques est infinie et leur typologie sera pour une autre fois. Constatons pour aujourd’hui que la balade en famille est l’activité la plus prisée, ce qui nous permet d’enfoncer une porte ouverte, mais là où les choses deviennent plus intéressantes, c’est quand on commence à observer les gens, leurs attitudes, leurs pratiques, et à s’interroger sur la richesse ou la pauvreté de l’expérience. Qu’y a-t-il de commun entre une après-midi consacrée à des jeux, des explorations, des découvertes, de l’observation, et les sorties « hygiéniques » où l’on fait chaque dimanche le tour des rues du lotissement ou du plan d’eau municipal, où l’on marche sur des routes au milieu des champs, les enfants traînant derrière en ayant hâte que ça se termine ? Je me pose souvent la question en voyant – même et peut-être surtout en campagne – la pauvreté des environnements dans lesquels se pratique parfois la sortie dominicale.
Entre ces deux phases, le repas de midi se prend parfois à l’extérieur, lorsqu’il fait beau. L’observation des familles en pique-nique montre que l’expérience est souvent beaucoup plus intéressante que la simple balade, car toutes les générations peuvent y trouver leur compte – les enfants, en particulier, prenant le large à la première occasion pour partir cavaler dans l’herbe ou grimper dans les arbres. Le côté intergénérationnel de ces regroupements dans la verdure est également un attrait, et rappelle l’intérêt pour une société toute entière d’offrir à ses membres des occasions de se retrouver – c’est pourquoi le repos dominical demeure une valeur précieuse.