Restons dans cette petite ville du Centre-Bretagne que nous observons depuis quelques semaines, et intéressons-nous cette fois aux enfants. Tous ceux scolarisés en CM2, et une partie des CM1, soit 45 enfants au total répartis dans deux écoles, sont passés récemment par l’exercice de la carte mentale ainsi que par des entretiens individuels. Il s’agissait de savoir comment les enfants se représentent la ville et comment ils la pratiquent dans leur vie de tous les jours. La méthode utilisée, importée de Suède, a été présentée ici à plusieurs reprises.
Il me paraît toujours intéressant d’évaluer la richesse de l’expérience des enfants en ce qui concerne les espaces extérieurs à leur domicile et leurs activités également à l’extérieur ; c’est pourquoi, sur la base des réponses au questionnaire individuel, j’essaie de classer les expériences entre « riche », « moyenne » et « pauvre ». Je vous concède que c’est très empirique voire « pifométrique », mais vous me concéderez en retour que lorsqu’un enfant n’a pas le droit de sortir de chez lui, son expérience du monde extérieur est plus pauvre que celle des enfants autorisés à vadrouiller librement et à pratiquer toutes sortes d’activités, encadrées ou informelles – on voit clairement la différence, il me semble.
Avec cette méthode pifométrique, donc, je trouve que sur les 34 enfants résidant dans la commune étudiée, 3 ont une expérience riche, 17 une expérience moyenne et 14 une expérience pauvre des espaces et activités à l’extérieur. Sur les 14 ayant une expérience pauvre, je relève qu’il se trouve 11 filles, avec des témoignages du genre « Je n’ai pas le droit de sortir seule, j’aimerais faire plus de vélo » ; « j’ai le droit de me balader autour de chez moi le long de la route » ; « je reste à la maison et je fais du roller dans la cour » ; « j’ai le droit de sortir seulement pour jouer dans la rue » ; « on ne sort jamais de la maison à pied », etc. Cette question des inégalités de genre dans la pratique des espaces extérieurs n’est pas nouvelle, nous l’avons déjà abordée ici par exemple, à propos d’une commune rurale.
La pauvreté de l’expérience aurait-elle un rapport avec la pauvreté économique des familles ? Rien ne permet de l’affirmer ici, parce que le protocole d’enquête, par respect de la vie privée, ne s’intéresse pas au statut socio-économique des parents ; et aussi parce que, dans un environnement rural, les « enfants de pauvres » n’ont pas nécessairement des pratiques plus pauvres que les « gosses de riches ». Notons au passage que la fréquentation des terrains de sports principalement pour la pratique du foot, activité éminemment populaire, concerne 7 garçons sur 18 (contre une seule fille). Mais relevons aussi que la seule fille à avoir une pratique « riche » est comme par hasard issue de la petite bourgeoisie locale, a déjà son vélo à assistance électrique à 10 ans et fait partie du Conseil municipal des jeunes, ce qui dénote un fort degré d’intégration tant dans l’espace géographique que dans la société locale.