Mon ami géographe Bruno Barré vient de me relancer sur le thème des bois d’Amour, déjà évoqué dans ce blog (notamment ici d’abord et là ensuite). De plus, une récente visite au parc de Chantilly m’incite à me pencher sur un thème connexe qui est celui des îles d’Amour. Dans les deux cas se pose la question de savoir quelles sont les qualités qui ont fait historiquement la notoriété de ces lieux, et accessoirement ce qu’il peut bien en rester de nos jours. Sur un plan méthodologique, on pourra aussi se demander ce qui relève du registre des « valeurs de sociotope » couramment admises, ou alors de pratiques moralement plus discutables relevant de la marginalité, ou pire encore.
Le bois d’Amour est bien présent dans le paysage toponymique national. Une rapide recherche sur internet m’a permis d’en localiser 29, dont 11 sur le seul territoire de la Bretagne historique. Celui de Pont-Aven, situé dans un cadre idyllique en lisière de la ville et le long d’une belle rivière, a acquis une notoriété nationale grâce à la peinture depuis l’époque de Gauguin. Les autres, souvent situés aussi sur des franges urbaines mais parfois en pleine campagne, semblent n’avoir eu qu’une gloire locale, mais il est remarquable que huit au moins soient devenus des parcs publics tandis que quatre sont aujourd’hui des terrains de camping (Quiberon, Dinard, La Baule, L’Île-Tudy). Quelques-uns semblent avoir été avalés par l’urbanisation (Brest, Drancy…), c’est sans doute aussi le cas de celui de Saintes qui aurait été converti en parking et dont un sex-shop a pris le nom. En d’autres termes, on a toujours affaire à des lieux de plaisir, en général arborés et proches de l’eau, mais dans une acception différente et nettement plus convenable.
J’aurais volontiers opposé le plébéien bois d’Amour à l’aristocratique île d’Amour, que je croyais associée à des parcs de châteaux pour en avoir un tel exemple près de chez moi et avoir donc vu celui de Chantilly. Le petit pont de bois, la gloriette parée de glycines, la statue suggestive mais décente, le couple de cygnes glissant sur l’onde lisse me semblaient favorables aux plaisirs raffinés des gens de goût – le genre d’endroit où les dames pouvaient accorder à leur soupirant ce que la littérature du 17è appelait joliment « la petite oie », à savoir quelques menues faveurs en attendant plus si affinités. C’était peut-être aussi l’effet de ma lecture de « La leçon d’amour dans un parc » (1902), œuvre de l’assez oublié René Boylesves dans laquelle la statue d’un Eros généreusement doté par son créateur joue un rôle essentiel qui, de notre point de vue, est un parfait exemple de triangulation tissant des liens entre tous les personnages du roman. Bref, une recherche sur les îles d’Amour m’a montré que je faisais fausse route, car la plupart des 16 sites que j’ai localisés n’ont rien à voir avec des parcs de châteaux mais sont des espaces naturels associés à des rivières et souvent devenus des parcs publics. L’exemple le plus frappant est sans doute celui du parc de l’île d’Amour à Meylan, au bord de l’Isère à quelques encâblures de Grenoble. Nous avons aussi, dans un cadre plus rural, l’exemple de l’île d’Amour à Ecouflant (près d’Angers et de l’île Saint-Aubin), dont Ouest-France nous apprend que « cette île était un rendez-vous privilégié des jeunes gens des deux derniers siècles, qui terminaient là une bien délicieuse promenade ». Enfin, je tiens à mentionner l’île d’Amour de Chennevières-sur-Marne, où fut tourné le film « La belle équipe » de Julien Duvivier (1936… le Front Populaire !), dans lequel Jean Gabin chante « Quand on s’promène au bord de l’eau« , indépassable célébration des plaisirs simples associés à la rivière.
Sociotopes en France 