Les Plus Beaux Villages de France

Le tourisme peut-il rendre idiot ? A voyager de Plus Beaux Villages de France en Villes d’Art et d’Histoire et de Petites Cités de Caractère en Plus Beaux Détours de France, on a l’impression de vivre dans un pays de Cocagne où coulent le lait et le miel, où l’on se gorge de confit – pommes sarladaises arrosé d’un gouleyant cru local, où fleurit l’artisanat et où des gens souriants bavardent avec leur accent pittoresque autour d’étals de marché chargés de victuailles, sur une place dégoulinante de bougainvillées ou de géraniums selon que vous êtes à Seillans ou à Riquewihr. Et on peut en tirer la conclusion suivante : « Bah, finalement, on se plaint tout le temps, mais faut avouer que la France c’est quand même pas si mal, etc. »

Cette France-là, qui vit bien ou du moins qui essaie de faire bonne figure en offrant une devanture pimpante, fait partie de la réalité. Pour autant, il suffit de s’écarter un peu des itinéraires du guide Michelin pour découvrir d’autres réalités moins reluisantes ; pour moi, cet été, ce fut par exemple Montréjeau (Haute-Garonne) avec le naufrage terrifiant de son centre-ville commerçant. Donc oui, on peut voyager idiot si on ne sort pas des itinéraires touristiques. Mais « en même temps », ces Plus Beaux Villages de France méritent notre intérêt, car ils ont quelques leçons à donner aux sociotopophiles et même à tout le monde.

Première leçon : les 159 « Plus Beaux Villages » sont tous denses, avec en général des maisons serrées les unes contre les autres, ce qui participe au pittoresque. La densité bâtie peut aussi bien être rurale qu’urbaine, et elle ne prend pas nécessairement la forme de « cages à lapins ». Vous le saviez déjà, mais c’est parfois bon à rappeler à un public peu formé à l’urbanisme, ou de mauvaise foi.

Deuxième leçon : à force de se balader le nez en l’air dans des rues fleuries où les riverains ont sorti tables et chaises, il vient un moment où on finit par se demander où sont les voitures, car le plus souvent il n’y en a pas ; d’ailleurs vous-même avez fait l’effort de vous garer à l’écart. Là encore, c’est bon à rappeler à certains interlocuteurs : tous ces villages ne sont pas des musées, on y trouve d’authentiques habitants, qui voient sans doute d’heureuses contreparties au fait de devoir se garer à l’écart – des rues paisibles, sûres, marchables et jouables, par exemple.

Troisième leçon : la plupart de ces villages, à en juger par les 47 que j’ai vus à ce jour, offrent des espaces publics accueillants – c’est d’ailleurs dans le cahier des charges. Des esprits supérieurs pourront faire la fine bouche devant le côté léché et parfois la débauche de fleurissement, il n’en reste pas moins que l’offre de quelques aménités comme des fontaines ou des bancs à l’ombre est appréciable, et que le « partenariat public / privé », officialisé ou informel, donne souvent de bons résultats, qu’il s’agisse de mobilier ou d’éléments décoratifs apportés par les riverains, ou des activités commerciales (cafés, restaurants, artisanat, marché…) qui animent efficacement les lieux.

Ces Plus Beaux Villages pourraient donc avoir des vertus pédagogiques, et on se prend à rêver qu’ils donnent à quelques-uns de leurs visiteurs réjouis l’envie d’autre chose que le « modèle » pavillonnaire évoqué dans l’article précédent. Ils pourraient aussi leur suggérer que le « choix de vie » invoqué un peu facilement par l’urbaniste Philippe Genestier se réduit trop souvent à un choix par défaut, et que les Plus Beaux Villages, loin d’être des antiquités mises sous cloche, peuvent inspirer un urbanisme moderne offrant une troisième voie entre le centre urbain classique et le pavillonnaire standard. Il y a d’ailleurs des professionnels qui sauraient faire, si on voulait bien les solliciter.