La Haute-Vienne, au même titre que la Creuse ou l’Allier, fut longtemps un bastion du communisme rural en France ; et dans ce département, la petite ville de Saint-Junien (11000 habitants) fut elle-même un fief communiste inexpugnable, d’autant qu’il s’y trouvait un prolétariat ouvrier travaillant dans les nombreuses usines implantées le long de la Vienne. Lors d’un passage rapide début juillet, je me demande si par hasard certains espaces publics ne garderaient pas la trace de ce passé, et voici donc mes quelques observations.
Première escale à la place des Bancs, au nom prometteur ; mais je n’y vois point de bancs. Par contre, non loin de là, à côté de l’église, des sarcophages de granite ont été disposés sur le trottoir et peuvent faire des sièges acceptables. La municipalité aurait-elle sorti du domaine ecclésial ces antiquités pour les mettre à la disposition des passants et leur donner une utilité sociale ?
Il y a davantage de choses à voir sur la place Lénine, où convergent la rue Varlin (acteur de la Commune de Paris) et la rue Marcel Paul, qui fut député communiste de la Haute-Vienne, ministre à la Libération, et déporté-résistant. On y trouve un curieux assortiment de seize bancs en ciment regroupés par quatre en carrés entourant des cyprès fastigiés, lesquels n’apportent aucune ombre sur cette place totalement minérale et parfaitement répulsive par temps chaud. Toutefois, un recoin de cette même place à l’arrière de l’église offre un spectacle intéressant. On retrouve là quatre bancs en carré, mais entièrement ombragés par un bel érable, et à côté desquels se trouve une sorte de fontaine Wallace prodiguant une eau potable, gratuite et démocratique. Surtout, ces bancs-là ont bien mieux à proposer que la vue sur un conifère étique : ils entourent les quatre faces d’une installation à la gloire de Jean Ferrat et, plus précisément, de sa chanson « Ma Môme ». On y trouve le texte intégral de la chanson, assorti de quelques commentaires sur le contexte historique : « …sans nier la réalité [de l’époque de la guerre d’Algérie], Ferrat conte l’histoire simple et belle de deux jeunes gens qui n’ont de richesse que leur amour ». Bonne pioche : voilà un lieu qui a du sens, qui a un message à faire passer, qui incite à fredonner une chanson dans sa tête (un point commun avec la chanson de Trenet évoquée l’autre jour), et qui en plus réussit à être accueillant par une chaude journée d’été. Qu’attendent les autorités pour réaménager le reste de la place Lénine dans le même esprit ? Ferrat a fait suffisamment de belles chansons pour offrir de la lecture aux autres bancs de la place. Du passé, faisons table rase : en éliminant les tristes cyprès et en plantant de vrais arbres pour faire de l’ombre, on aurait sûrement là un lieu bien plus attrayant qu’aujourd’hui. Quant à ceux qui ne croient pas aux lendemains qui chantent, ils pourraient toujours tourner le dos à Jean Ferrat pour regarder le spectacle de la rue – c’est au moins un avantage de l’absence de dossier : on peut choisir ce que l’on veut voir.