Un sociotope rural entre deux époques

Le précédent article parlait de la place du Plan à Saint-Bertrand-de-Comminges (Haute-Garonne). Revenons-y, car elle ne manque pas d’intérêt.

De forme plus ou moins triangulaire et couvrant 2000 m², cette place est bordée sur deux côtés par des maisons anciennes accolées, certaines un peu décrépites, et sur le troisième côté par un cours d’eau aux berges cimentées et à sec durant l’été. On y trouve donc une Sainte-Vierge au centre, ainsi que des rangs de platanes et tilleuls en périphérie. On remarque également trois constructions en ciment, accolées, qui témoignent d’anciens usages : une borne-fontaine, un abreuvoir et un bac de lavage. Ces installations, qui ont été supprimées dans beaucoup de communes, ont été conservées ici. La borne-fontaine comporte un robinet qui peut rendre des services, l’abreuvoir est toujours en eau et devrait pouvoir intéresser des cavaliers de passage ; mais le petit lavoir est à sec. Tout à côté se trouvent un banc en ciment du genre mastoc, pas « design » pour deux sous mais raisonnablement asseyable ; et un bac à fleurs, lui aussi en ciment.

On imagine sans peine que cette place de village fut jadis au centre de la vie locale et rendit des services multiples aux habitants. Aujourd’hui, intégralement goudronnée, elle est devenue un espace de stationnement plus ou moins organisé autour de cette fameuse Sainte-Vierge et de ses deux bancs. Ciment, bitume, le spectacle n’est pas très exaltant, mais il y a de jolis arbres et surtout, il se passe des choses intéressantes en périphérie. Des riverains ont notamment sorti des tables et des chaises sur l’espace public, on voit aussi des bacs et pots de fleurs, et même des vieux pneus de tracteur convertis en jardinières et peints en rouge et blanc. C’est l’occasion de vérifier un propos de Jan Gehl selon lequel « la vie vient par les bords » : c’est là que se trouvent les indices d’usage par les habitants et c’est à partir de là que la vie sociale peut réoccuper l’espace. Il y a là aussi matière à nous interroger une nouvelle fois sur les espaces de transition entre domaines public et privé : à mon avis, ces espaces qui sont aussi des lieux d’incertitude (« on est chez qui ? ») peuvent avoir un grand intérêt, mais tout le monde n’est pas de cet avis (lire par exemple ici). Enfin, une petite recherche me montre que cette place accueille à l’occasion des événements festifs (voir photo), ce qui a sûrement quelque chose à nous dire sur les qualités du lieu.

En résumé, cette modeste place présente des aspects qu’on pourrait trouver surannés – les aménagements en ciment d’une autre époque, la nappe de bitume, les vieux pneus, pourquoi pas aussi la Sainte-Vierge, mais chacun ses goûts bien sûr. On peut aussi lui trouver un beau potentiel, car on se trouve ici au pied d’un grand site touristique et sur le trajet d’un chemin qui y conduit, et il me semble que cette place pourrait (devrait ?) être rendue beaucoup plus accueillante aux habitants et aux visiteurs. On peut sans doute mettre un paysagiste sur le coup, mais à mon avis c’est typiquement le genre de lieu qui justifierait un travail de type « Placemaking » avec les habitants, suivi d’initiatives dans l’esprit « léger, rapide, pas cher » car il suffirait de peu pour rendre l’endroit attrayant (une délimitation du stationnement, quelques coups de peinture sur le ciment, des banderoles de couleur dans les arbres, un vieux tronc d’arbre sur lequel les enfants puissent grimper, pourquoi pas une boîte à livres à l’ombre à côté d’un banc et du point d’eau, et que sais-je encore, mais ce n’est pas à moi de faire le travail à leur place). Une autre époque pourrait ainsi s’ouvrir pour la place du Plan.