Dans un récent article, nous avons envisagé diverses possibilités de tirer parti de notes prises lors d’observations sur le terrain, par exemple pour l’écriture, mais sans préciser comment. Or, la réponse se présente à moi la semaine dernière dans les rayonnages d’un bouquiniste de Foix, sous la forme d’un livre de François Bon intitulé « Tous les mots sont adultes », avec le sous-titre « Méthode pour l’atelier d’écriture » (Fayard, 2000). Je l’achète sans savoir ce qu’il contient, car d’une part j’admire le talent de l’auteur, que j’ai découvert par son beau texte intitulé « Civray, ville complète » faisant un peu penser à Julien Gracq par sa façon de tisser l’image de la ville actuelle avec des souvenirs de jeunesse ; et d’autre part, j’aime bien l’idée que l’écriture, cela s’apprend et se travaille, et que ce n’est pas (ou pas seulement) une affaire de talent inné.
Dans ce livre, Bon met en forme son expérience des ateliers d’écriture destinés à des publics variés, souvent sans le moindre bagage littéraire, pour en tirer des recettes pratiques pouvant donner envie de se lancer et d’acquérir de la confiance en soi. Montherlant faisait preuve de paresse et de désinvolture en évoquant (cf article précité) ce « je-ne-sais-quoi » qui permet de transformer des notes de terrain en un récit vivant. Bon, lui, fait l’effort de convertir ce « je-ne-sais-quoi » en « je sais quoi, et je vais vous l’enseigner ».
Je ne vais pas vous résumer tout le livre, mais la première des cinq étapes ou « journées » se base sur l’établissement de listes, et ô surprise, nous retrouvons là Perec, Espèces d’espaces, et même Flaubert (le « bœuf de labour avec un carnet de notes », que méprisait Montherlant). En nous rappelant que « la marche de la grande prose, Flaubert par exemple, c’est lier de façon continue ce qui ne l’est pas », l’auteur propose diverses passerelles pouvant être testées pour lier la prise de notes à la construction d’un récit (l’introduction d’un narrateur, le déplacement dans l’espace ou dans le temps, la dimension imaginaire…), le tout étant illustré aussi bien par des contributions collectées en ateliers (Centre de quartier Pablo Neruda à Bagnolet, adultes en difficulté à Lodève, stage d’enseignants à Tanger…) que par des citations des meilleurs auteurs.
L’ouvrage, quoique parfois difficile à suivre, me semble bien pensé et très stimulant. De notre point de vue, il apporte le chaînon qui manquait entre l’observation des espaces extérieurs et un possible travail d’écriture pour ceux qui partagent la préoccupation de Perec « Écrire : essayer méticuleusement de retenir quelque chose, de faire survivre quelque chose ». Mais si je ne devais en retenir qu’une chose, ce serait cette belle citation (encore une liste !) du poète Charles Juliet :
Écrire. Écrire pour obéir au besoin que j’en ai.
Écrire pour apprendre à écrire. Apprendre à parler.
Écrire pour ne plus avoir peur.
Écrire pour ne pas vivre dans l’ignorance.
Écrire pour panser mes blessures. Ne pas rester prisonnier de ce qui a fracturé mon enfance.
Écrire pour me parcourir, me découvrir. Me révéler à moi-même.
Écrire pour déraciner la haine de soi. Apprendre à m’aimer.
Écrire pour surmonter mes inhibitions, me dégager de mes entraves.
Écrire pour déterrer ma voix.
Écrire pour me clarifier, me mettre en ordre, m’unifier.
Écrire pour épurer mon œil de ce qui conditionnait sa vision.
Écrire pour conquérir ce qui m’a été donné.
Écrire pour agrandir mon espace intérieur. Pour m’y mouvoir avec toujours plus de liberté.
Écrire pour produire la lumière dont j’ai besoin.
Écrire pour m’inventer, me créer, me faire exister.
Écrire pour soustraire des instants de vie à l’érosion du temps.
Écrire pour devenir plus fluide. Pour apprendre à mourir au terme de chaque instant. Pour faire que la mort devienne une compagne de chaque jour.
Écrire pour donner un sens à ma vie. Pour éviter qu’elle ne demeure comme une terre en friche.
Écrire pour affirmer certaines valeurs face aux égarements d’une société malade.
Écrire pour être moins seul. Pour parler à mon semblable. Pour chercher les mots susceptibles de le rejoindre en sa part la plus intime.
Écrire pour mieux vivre. Mieux participer à la vie. Apprendre à mieux aimer.
Écrire pour que me soient donnés ces instants de félicité où le temps se fracture et où, enfoui dans la source, j’accède à l’intemporel, l’impérissable, le sans-limite.
Lire aussi : « Écrire la ville, un atelier d’écriture avec François Bon » (site de la BNF).