Les lecteurs de ce blog connaissent la maxime de Churchill selon laquelle « en France, tout est permis, même ce qui est interdit », et ils ont remarqué la porosité des frontières entre l’autorisé, le toléré, le vaguement interdit, le strictement prohibé et le réellement réprimé. C’est le charme d’un pays à vieille culture catholique : on arrive souvent à s’arranger, que ce soit avec sa conscience ou avec les Autorités. Je vous en propose une admirable illustration trouvée du côté des Corbières, en suivant (une nouvelle fois) les conseils de l’ami Ludovic.
Entre les villages de Tautavel et Vingrau (Pyrénées Orientales), au pied de la célèbre grotte de Tautavel, le Verdouble a donné comme un trait de scie à travers une ligne de hauteurs calcaires pelées. Coulant au fond de cette gorge très étroite, la petite rivière offre une succession de vasques et de marmites, qui débouche à l’aval sur un élargissement avec une jolie plage ombragée faisant face, soit dit en passant, à une station de pompage d’eau potable. Bref, le lieu de baignade idéal en ce pays torréfié par le soleil. Ceci n’a pas échappé aux habitants du coin ainsi qu’aux touristes qui y viennent nombreux, et voici que mon tour arrive ce 26 juin 2022.
Je remarque tout d’abord, à l’entrée de la voie d’accès, un panneau « baignade interdite » très visible, assorti d’un autre panneau indiquant que le site est sous vidéo-protection ; ça n’a pas l’air de plaisanter, et j’hésite un peu. Plus loin, deux autres panneaux rappellent l’interdiction de baignade, mais il y a aussi un parking payant et gardé, sur terrain privé, visiblement utilisé par des gens qui viennent se baigner. J’interroge donc le gardien, qui m’explique que l’interdiction n’est là que pour exonérer la commune en cas d’accident, et que « ça fait six ans que je suis là et il n’y a jamais eu de problème ». Très bien, donc c’est parti pour une baignade assortie de quelques observations sociotopiques sur ce lieu très mixte, apparemment à statut public, où l’on retrouve une répartition classique : les familles avec enfants sur la plage ; les ados à l’écart dans les gorges en groupes de garçons et de filles plutôt séparés mais s’observant du coin de l’œil ; les anciens en retrait à l’ombre des arbres, etc. Je relève aussi un panneau signalant un périmètre de protection de captage d’eau potable – logique, car la station de pompage est juste là, mais posant quand même un petit problème : je ne sais pas si vous avez remarqué, mais un des plaisirs de la baignade dans la nature, c’est qu’on peut faire pipi dans l’eau, donc à la fin de la journée il doit y avoir là des dizaines voire des centaines de pipis dans l’eau qui alimente les Tautavéliens, ce qui ne semble pas soulever de gros problèmes.
Résumons-nous : la baignade (et les pipis qui vont avec) est interdite, mais cette activité fait du site des Gouleyrous un des lieux les plus attractifs de la commune et procure des recettes au propriétaire du parking. Quel merveilleux pays !
Lire également ici à propos de la réglementation de la baignade dans les espaces naturels.
Ce qui est génial c’est cette sensation étrange d’interdit/toléré qui se ressent vraiment quand on vient sur ce site.
C’est très méditerranéen. Que faut-il en penser? J’avoue ne pas savoir.