Suite à l’article de la semaine dernière sur Montherlant, une lectrice se demande s’il y a vraiment beaucoup de textes sur les parcs et jardins publics dans la littérature française. Pour ma part je n’en ai aucune idée, mais j’ai fait des recherches pour savoir s’il n’y aurait pas au moins des études sur la question. Il n’en est pas ressorti grand-chose, sauf – et ce n’est pas rien – la phénoménale thèse de doctorat en urbanisme et aménagement soutenue par Céline Barrère en 2007 et intitulée « Jardins publics 1850 – 1950 : figures romanesques de l’espace urbain ». En 810 pages hors annexes, assorties de 4674 références à des œuvres littéraires de 87 écrivains, l’auteur nous offre un panorama extraordinairement riche et fouillé de la manière dont les écrivains ont ressenti, pratiqué et dépeint les espaces verts parisiens durant un siècle, qui nous fait passer de la ville pré-haussmanienne aux prémices du modernisme. Curieusement, Montherlant n’est pas dans la liste, mais on y trouve du beau monde, d’Aragon à Zola en passant par Balzac, Flaubert, Maupassant, Proust, Queneau ou Vian. Et aussi des gens moins connus, qu’on pourrait avoir envie de découvrir en empruntant cette porte d’entrée du jardin public.
Cette thèse, qui s’ouvre sur une citation de Perec tirée d’Espèce d’espaces (nos lecteurs connaissent, voir ici et là !), contient parfois des développements de haute volée qui peuvent être difficiles à suivre. Toutefois, les innombrables références l’enracinent dans le concret et parlent à notre propre expérience. Nous sommes d’ailleurs là au cœur du thème des sociotopes : de même que le sociotopologue observe les usages et les pratiques des jardins, l’écrivain observe et relate les pratiques des lieux, qu’il s’agisse de son expérience propre, de celle des gens qu’il observe autour de lui, ou de celle de ses personnages (voir par exemple le chapitre éloquemment intitulé « Le topos de la Parisienne », p. 626.)
On trouve dans ce travail des typologies intéressantes (par exemple celle des visiteurs des jardins publics, sur laquelle nous reviendrons et où figure une belle collection de sociotypes tels que les enfants, les familles, la jeune fille, la bonne, le tourlourou, l’étudiant, le flâneur, le vieux et la vieille…), ou encore une approche par la temporalité (les horaires, le dimanche, la nuit…). Mais un des intérêts majeurs de cette thèse, pour le peu que j’en ai lu jusqu’à présent, est de montrer la capacité des écrivains à détourner et déborder les fonctions (très morales) officiellement assignées aux jardins publics, ou encore de leur capacité à voir la réalité du monde social par delà la façade lisse et ordonnée du jardin aménagé dans un souci d’harmonie végétale et sociale. L’écrivain et ses personnages ne trouvent pas forcément leur compte dans le « fétiche vert » mis en place par l’haussmanisation, au point souvent d’ailler rechercher ailleurs – dans les rues, les lieux en mutation, aux marges de la ville… – des espaces moins normés, davantage capables de nourrir leurs aventures et leur imaginaire. Je n’en vois pas de meilleure illustration que, ici, la belle chanson « La rue Watt », écrite par Vian, inspirée par Queneau et chantée par Philippe Clay.
Thèse téléchargeable ici.