Ce qu’on déclare aimer et ce qu’on fait vraiment

Si vous demandez aux personnes sur la photo ce qu’elles aiment à cet endroit, elles vont à coup sûr vous répondre que c’est la proximité de l’eau, le calme ou encore l’ambiance naturelle. Mais si vous leur répondez ce qu’elles pratiquent ici, elles vous diront que c’est la conversation. A l’occasion d’entretiens que j’ai conduits récemment dans ce secteur auprès de 32 personnes, le « calme » était, comme c’est en général le cas dans les espaces verts, la qualité la plus appréciée des visiteurs, et il ne s’est pas trouvé une seule personne pour mentionner la possibilité de rencontrer des gens et de bavarder. Mais quand j’ai demandé aux mêmes personnes ce qu’elles pratiquaient ici, c’est la conversation qui a été le plus souvent citée, avec 15 réponses.

Il y a là un décalage un peu surprenant entre ce que les gens disent aimer et ce qu’ils font réellement. Bien sûr, il découle en partie des questions elles-mêmes, d’où l’intérêt de poser les deux questions. Mais pourquoi les gens ne déclarent-ils pas aimer dans un lieu la possibilité de s’y installer pour bavarder, puisque telle est leur pratique favorite ? Certains considèrent sans doute la chose comme allant de soi ou comme implicite : si on aime un lieu pour son calme, c’est implicitement qu’on va s’y trouver bien pour bavarder. Mais il doit y avoir autre chose.

Dans The Social Life of Small Urban Spaces (1980), W.H. Whyte fait le constat que dans les entretiens, les gens déclarent aimer le calme, l’isolement, mais que dans la pratique, ils recherchent la proximité de leurs congénères (« They speak of getting away from it all, and use terms like « escape », « oasis », « retreat ». What people do, however, reveals a different priority »). C’est comme si certaines inclinaisons étaient plus avouables ou légitimes que d’autres – comme le dit Whyte par ailleurs, vous ne trouverez pas une personne pour avouer qu’elle aime être dans une foule.

Que peut-on en conclure d’utile pour la gestion des espaces ouverts ? D’abord qu’il ne suffit pas d’observer les gens : il faut aussi parler avec eux et leur poser les bonnes questions – dans mon cas, si je m’étais contenté d’observer sans faire d’entretiens, je ne me serais pas rendu compte que la conversation présentait une telle importance dans ce site et mon attention aurait été attirée par d’autres activités plus voyantes. Ensuite, que si la conversation est de fait aussi prisée, il importe de la favoriser par tous les moyens, et dans le site en question il reste énormément à faire pour proposer des bancs confortables, les implanter aux meilleurs endroits, les agencer de manière à faciliter la conversation à plusieurs, etc. Sur ce sujet, les services techniques vont donc bientôt avoir leur feuille de route.

Un commentaire

  1. C’est exactement comme l’urbanisme.
    Les gens cherchent un terrain « pour être tranquille », loin des autres…
    Mais la chose qu’ils préfèrent faire est bien souvent de recevoir des gens, d’avoir des amis…

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