Les plazas et le droit de propriété

(Suite de la traduction de « The Social Life of Small Urban Spaces », de W.H. Whyte)

Venons-en à une question liée à ce qui précède. Jusqu’à quel point les espaces publics sont-ils publics ? Sur beaucoup de plazas, vous pouvez voir une petite plaque en bronze qui dit quelque chose comme « Propriété privée. Traversée aux risques et périls de l’utilisateur, et avec l’autorisation révocable du propriétaire ». C’est suffisamment explicite : cela veut dire que la plaza a un propriétaire, et qu’il peut révoquer tout droit que vous avez de vous en servir. Qu’il aient bénéficié ou non d’un bonus leur permettant de construire en hauteur, la plupart des gestionnaires d’immeubles considèrent comme acquis leur droit de chasser toute activité qu’ils jugent indésirable. De plus, ils donnent de cela une définition qui va bien au-delà des comportements dangereux ou anti-sociaux. Certains sont du genre tatillon. Quand nous avons entrepris de mesurer les corniches le long du trottoir devant l’immeuble General Motors, les gens de la sécurité se sont précipités vers nous : ils étaient navrés, mais nous devions tout arrêter jusqu’à ce que nous obtenions une autorisation du service des relations publiques.

Ce n’est peut-être pas un motif pour aller jusqu’à la Cour Suprême, mais il y a quand même des principes en jeu, et il est inévitable qu’il faille les mettre à l’épreuve. Cet espace a en réalité été fourni par la collectivité, au travers du zonage et de toute la mécanique urbanistique. Il est vrai qu’il est la propriété de l’aménageur, et également vrai que celui-ci est responsable de son entretien. Mais la législation qui établit le bonus de constructibilité en hauteur pose comme condition, et sans aucune équivoque, que la plaza doit être « accessible au public en tout temps ».

Que signifie « accessible » ? Le sens commun voudrait que le public puisse utiliser les lieux comme il le ferait dans n’importe quel espace public, avec les mêmes libertés et les mêmes contraintes. Mais beaucoup d’aménageurs opèrent avec une conception bien plus étroite de l’accessibilité. Ils chassent les amuseurs, les distributeurs de tracts, ou ceux qui font des discours. Les gérants d’immeubles d’habitation chassent même, trop souvent, tous les non-résidents. C’est une violation flagrante des règles d’urbanisme, mais jusqu’à présent, personne n’a saisi les tribunaux.

Le droit du public sur les plazas urbaines pourrait sembler clair. Non seulement les plazas doivent être utilisées comme des espaces publics, mais de plus, leur propriétaire a été spécifiquement – et généreusement – rétribué pour les fournir. On ne lui a pas donné le droit de n’autoriser que les activités publiques qu’il lui plaît d’approuver. Il peut prétendre qu’il l’a, et certains propriétaires agissent sur cette base en toute impunité. Mais c’est parce que personne ne les a défiés. Un test rigoureux et clarificateur s’impose.

Photo : « plaza » d’immeuble à Paris, dans le secteur des Batignolles. Là au moins, c’est du privé, pas d’ambiguïté. Mais peut-être aussi de l’espace inutilisé voire perdu ?

L’article précédent est ici.

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