(Suite de la traduction de « The Social Life of Small Urban Spaces », de W.H. Whyte)
Jusqu’ici, nous nous sommes intéressés aux manières de rendre les espaces urbains plus attractifs. Maintenant, voyons une autre question : qu’est-ce qui se passe s’ils fonctionnent trop bien ? On conçoit qu’il puisse y avoir tellement de monde que les valeurs recherchées par les gens en soient compromises. C’est déjà arrivé dans les parcs nationaux, et cela pourrait sûrement arriver dans les villes. Ce risque préoccupe la Commission de la planification de la ville de New-York. Nos études pouvaient-elles éclairer quelque peu le sujet ? Etait-il possible de jauger la capacité d’accueil des espaces urbains ? Ou de la réguler ? A partir de combien de gens y a-t-il trop de gens ?
Pour aborder ces questions, nous avons entrepris des études approfondies sur cinq des espaces asseyables (1) les plus intensément utilisés à New-York : une corniche le long d’un building, une le long d’une plaza, et trois groupes de bancs. Tout d’abord, nous avons recensé le nombre moyen de gens assis à chaque endroit aux heures de pointe et aux heures creuses. Il est apparu rapidement que le nombre de gens qui pouvaient s’asseoir et celui des personnes assises était très différents. Dans les endroits les plus utilisés, nous avons constaté qu’il y avait en moyenne 33 à 38 personnes sur 100 pieds (30 m) d’espace asseyable. Dans des observations ultérieures, nous avons noté un léger accroissement, mais on restait dans des valeurs du même ordre que pour les autres espaces étudiés. C’est pourquoi il y a suffisamment d’arguments sur lesquels on puisse fonder la règle suivante ; si vous voulez estimer le nombre moyen de personnes utilisant un bon espace asseyable en période de pointe, divisez la longueur en pieds par trois et vous ne serez pas loin de la réalité.
Ceci ne concerne pas la capacité. Si les gens devaient s’asseoir avec la même densité que dans les bus, on pourrait arriver à 60 personnes pour 100 pieds. Dans des situations particulières, lors d’événements exceptionnels par exemple, on peut même monter plus haut. Ce qui nous occupe, toutefois, c’est la capacité effective, c’est à dire le nombre de gens qui, par libre choix, vont s’installer à un endroit lors d’un moment de pointe moyen. Vous vous apercevrez que chaque lieu a ses propres normes, dépendant d’une multitude de facteurs – le microclimat, le confort du perchoir, ce que vous voyez depuis là, et l’attractivité générale du secteur.
L’alimentation en utilisateurs est un facteur primordial. Il faut que beaucoup de gens passent aux alentours pour fournir un quota d’assis. C’est pourquoi il y a nécessairement une relation entre l’utilisation d’un espace asseyable et le flux de piétons à proximité. Dans ses études sur Copenhague, Jan Gehl avait trouvé une forte corrélation entre le nombre de gens assis sur les bancs le long de la principale rue piétonne et le nombre de gens debout ou marchant. Le nombre d’assis était une fraction relativement constante de celui des passants.
Parmi tous les facteurs, ce sont bien sûr les gens assis qui sont les plus importants. Nous nous sommes focalisés sur la corniche frontale nord de Seagram plaza pour une étude de leur comportement minute par minute. A partir d’un toit de l’autre côté de la rue, nous avons braqué sur cette corniche deux caméras filmant en accéléré, et enregistré, à 10 secondes d’intervalle, tout ce qui se passait du lever du jour à la tombée de la nuit. J’ai utilisé le film pour construire une représentation chronologique de l’occupation, qui ressemble un peu à un rouleau de piano mécanique. Chaque ligne représente un assis ; la longueur de la ligne, la durée d’occupation par cette personne ; la position de cette ligne indique sur lequel des 11 carrés définis le long de la corniche cette personne est assise. Chaque carré a une longueur d’1,50 m, et la corniche fait un peu plus de 15 m.
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(1) Je rappelle que dans ce blog, le mot « asseyable » (qui ne figure pas dans les dictionnaires) est utilisé pour traduire le terme anglo-américain « sittable », de même que « walkable » est traduit par « marchable ». Pour information, Bouygues Immobilier semble s’intéresser à la ville asseyable.