Sociotopes parisiens : jour 2

Vendredi 6 septembre, guidé par mon ami Alain Mausset, architecte-urbaniste, je prends la direction du nord-ouest parisien pour découvrir le secteur des Batignolles, qui fait l’objet depuis plusieurs années d’une grosse opération de renouvellement urbain sur d’anciennes friches ferroviaires. Bien à l’écart de la bruyante avenue de Clichy, au fond d’un quartier tranquille, le square des Batignolles offre un bel exemple de jardin public haussmannien, avec son aménagement « à l’anglaise », sa pièce d’eau et ses arbres magnifiques, dont un platane qui compte parmi les plus gros de Paris. On y trouve aussi « une toute petite rivière », mentionnée par une chanson pleine de nostalgie et de poésie que chante… Patrick Topaloff, eh oui ! (*)

Les pelouses sont interdites d’accès, comme l’indiquent plusieurs petits panneaux bien visibles, mais plein de gens s’y vautrent comme si de rien n’était (photo du haut), ce qui confirme l’adage – bien connu de nos lecteurs – selon lequel « en France, tout est permis, même ce qui est interdit ».

De l’autre côté de la rue Cardinet, changement de décor avec la ZAC Clichy-Batignolles, centrée sur un parc tout neuf – le parc Martin-Luther-King, conçu par Jacqueline Osty – et dominée à l’arrière-plan par le tout nouveau Tribunal de Paris, œuvre de Renzo Piano. Cette coulée verte, à laquelle on a voulu donner un caractère structurant pour le quartier, fend la « banquise de pierre et de béton » (J. Gracq) qui l’enserre sur deux côtés. Notons au passage que la plupart des parcs et jardins du 19è siècle – comme le square des Batignolles – se présentent sous la forme d’un objet fermé sur lui-même et entouré de rues, tandis que dans beaucoup de réalisations modernes comme celle-ci, le jardin se combine avec son environnement urbain pour offrir des continuités de cheminement entre des quartiers – et c’est une excellente chose.

Si l’on veut évaluer la qualité de ce parc, on peut évidemment s’en tenir à des appréciations subjectives, mais il me semble bien plus intéressant d’observer ce que les gens en font. Et là, clairement, le succès est au rendez-vous, alors même que certaines parties ne sont pas encore terminées et que des cheminements restent fermés. Le parc offre de belles relations avec l’élément aquatique – un héron et des poules d’eau y prennent déjà leurs aises -, ainsi qu’une multitude d’espaces, d’ambiances et d’expositions. Par rapport au parc André Citroën, moderne lui aussi mais qui m’a toujours semblé calamiteux, le compartimentage de l’espace ne compromet pas la cohérence de l’ensemble, ni la sensation de sécurité, car tous les espaces sont visibles et il n’y a pas de recoins inquiétants. Les visiteurs apprécient manifestement la diversité et le confort des lieux pour s’asseoir (enfin un bon exemple moderne !), et l’espace est de toute évidence « inclusif », pour reprendre un terme à la mode. On y voit des femmes seules qui lisent tranquillement, des gens de tous âges et de toutes ethnies, et même un terrain de boules ouvert à tout le monde où il y a à la fois des femmes et des jeunes… c’est nettement plus sympa qu’au square des Batignolles, dont une partie est réservée aux adhérents de « La Pétanque Batignollaise », lesquels sont en quasi-totalité des messieurs bien amortis.

L’amateur d’architecture peut profiter de son séjour dans le parc pour s’intéresser au catalogue d’architecture actuelle qui s’étale tout autour du parc. On peut être séduit par l’audace d’un coup de crayon ou par l’originalité d’une forme, comme on peut être irrité par le caractère « cosmétique » d’une architecture qui duplique finalement les mêmes modes de vie en se bornant à essayer d’épater le bourgeois par des formes bizarroïdes (inclinaisons, angles, surplombs…) ou des emballages qui se veulent amusants (plaques de métal perforées de motifs, très à la mode, poutrelles, poteaux ou bardages en bois agencés dans un savant désordre, etc). Un des intérêts du parc est donc aussi d’inciter le visiteur à se poser, à regarder et à s’interroger, pour aller au-delà du côté « paillettes et strass » de cette exposition.

(*) Il y a aussi une grande et sombre chanson de Barbara qui parle du square des Batignolles (une allée y porte d’ailleurs son nom), à vous de la trouver. Et aussi une chanson d’Yves Duteil.

Date de l’article d’origine : 11 septembre 2019

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