Le très bon livre d’économie « La théorie du Donut » (Kate Raworth, 2018) contient une photographie particulièrement réjouissante : il s’agit de l’énorme panneau publicitaire que fit poser sur un terrain en friche de la ville de Rockford son propriétaire, un certain Fay Lewis. Sur ce panneau était écrit : « J’ai payé ce terrain 3600 $ et je vais le garder jusqu’à ce que je puisse en retirer 6000 $. Le profit est la plus-value imméritée créée par cette communauté et par le travail de ses membres. Je touche ce profit sans le gagner par mes efforts ». En d’autres termes : « C’est grâce à vous, braves cornichons de travailleurs et de contribuables qui soutenez ce système inique, que je peux m’enrichir en dormant ».
Parmi les facteurs qui « créent de la valeur », comme on dit, dans le foncier urbain, il y a bien sûr les équipements publics et tout particulièrement les espaces verts. Ceux-ci sont de plus en plus recherchés et leur proximité participe à faire monter le prix des logements, à la satisfaction des propriétaires mais aux dépens des gens qui cherchent à se loger, surtout ceux à revenus modestes. La présence ou l’adjonction de verdure dans les environnements urbains peut donc participer à un processus de « gentrification », ou d’embourgeoisement en bon français (rien à voir avec la « boboïsation », car la notion d’embourgeoisement a le grand mérite d’inclure ces éternels oubliés que sont les authentiques bourgeois non bohêmes, ceux qui lisent Le Figaro et Pascal Bruckner). On pourrait donc en arriver à la conclusion simpliste que si on veut faire du social, il ne faut pas créer d’espaces verts.
La réalité est évidemment plus complexe. Un article paru il y a quelques jours sur Citylab (Why greenway parks cause greater gentrification) démontre au terme d’un important travail de recherche que certains types de parcs favorisent particulièrement l’embourgeoisement des quartiers riverains. L’étude a porté sur dix villes américaines (cinq grandes et cinq moyennes) divisées en quartiers et sur une période de quinze ans, ainsi que sur des centaines de parcs classés en fonction de cinq grands critères (taille, qualité générale, nouveauté ou non, proximité du centre-ville, caractère linéaire ou non). A partir de là, il s’est agi de voir si des corrélations se dégageaient entre les caractéristiques des parcs et les transformations sociales des quartiers au cours de la période. Et ce qui se dégage très nettement, c’est que la forme des parcs joue un rôle primordial : ce sont les parcs linéaires (« greenways ») qui font le plus monter la valeur des logements. Ceci s’explique facilement par le fait qu’en se faufilant à travers des quartiers antérieurement plus pauvres (cf le cas particulièrement spectaculaire de la High Line à New-York), ils valorisent financièrement les quantités de terrains et d’immeubles qui ont vue sur lui et dont l’environnement se trouve métamorphosé. La proximité au centre (« downtown ») est également un facteur important ; en d’autres termes, un espace vert créé un peu à l’écart d’un centre-ville n’aura pas autant d’incidences financières que s’il était central. Enfin, les auteurs estiment que la question de la taille des parcs ne méritait pas toutes les polémiques qu’elle a générées, car elle n’a pas d’incidence décelable. C’est sûr, il y a du beau monde autour de Central Park, mais le parc de Flushing Meadows est encore plus grand et il dessert les quartiers populaires voire déshérités du Queens ; mais il est vrai qu’il est bien loin du Downtown.
Photo : le parc de la High Line à New-York a métamorphosé un ancien quartier industrieux et populaire de Manhattan, il a été qualifié de « monument à la gentrification ».
Date de l’article d’origine : 24 octobre 2019