De l’art de ne rien faire

Nous avons souligné à diverses reprises que les valeurs attachées aux sociotopes ne sont pas forcément liées à des activités – celles-ci étant aisément identifiables par l’observation – et que beaucoup de gens apprécient de ne rien avoir à faire de spécial, ce qui peut être une excellente façon de se déconnecter des contraintes et sollicitations du travail ou domicile. Cette possibilité de déconnexion semble devenir un luxe à une époque où la wifi envahit même les parcs publics, et la simple idée de pouvoir se balader le nez en l’air prend un petit côté subversif assez « tendance ».

Le Guardian a récemment consacré un grand article à l’essayiste américaine Jenny Odell, pour son livre « How to do nothing : Resisting the attention economy » et sa conférence Google sur le même thème. Notons dès à présent la duplicité de Google (et au passage la curieuse position de Mme Odell), qui offre une heure de tribune à un discours démolissant l’économie de l’attention sur laquelle l’entreprise fonde sa prospérité. Mais il est bien connu que les capitalistes sont capables de vendre la corde pour les pendre. Ce qui retiendra notre attention ici, c’est le rôle crucial que jouent les espaces publics dans la nécessaire déconnexion préconisée par l’auteur. A l’écart du domicile et du lieu de travail, ces « tiers-lieux » offrent des possibilités de ressourcement qui n’existent plus guère ailleurs, et leurs bénéfices sont d’autant plus importants que l’environnement  présente un caractère naturel. Mme Odell, qui pratique l’observation des oiseaux, sait à quel point l’immersion dans la nature aide à « vider la tête ».

En écho à ces propos, le New-York Times d’hier (28 octobre 2019) propose un article sur le thème « How you should find time to be alone with yourself », qui célèbre les vertus de la solitude choisie. Dans l’approche très américaine et pratique du « How to… », il est proposé au lecteur des conseils pour se lancer (« Tout ce dont vous avez besoin, c’est de vous-même »), ainsi qu’un solide argumentaire pour justifier la pratique de la glandouille en solo (« Cela peut doper la productivité, l’engagement auprès des autres et la créativité »… nous voilà rassurés). En France, nous n’avons ni Jenny Odell, ni le New-York Times, ni Angela Grice, pathologiste du langage et chercheuse en neurosciences au laboratoire de neurocognition du langage à l’université de Columbia, qui a travaillé sur la solitude dans l’espace public ; mais il nous reste heureusement l’immortelle et très subversive pensée de Pierre Desproges, lorsqu’il osait déclarer « Je préfère me faire chier tout seul qu’être heureux avec les autres ».

Photo du haut : extraite de la conférence de Jenny Odell. Photo du bas : l’économie de l’attention étend ses tentacules jusque sur la place centrale de Treignac (Corrèze), au pied du plateau de Millevaches.

Date de l’article d’origine : 29 octobre 2019

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