Paysagistes et sociotopes

Nous avons besoin des paysagistes : de leurs regards, de leur créativité, ainsi que de leur connaissance des matériaux, du végétal, des techniques… Ils nous offrent d’innombrables lieux d’agrément ou d’émerveillement, que les meilleures méthodes de « co-construction » avec le public n’auraient pas forcément réussi à produire. Il peut cependant leur arriver de créer des aménagements qui ne fonctionnement pas, et ces « flops » sont tout aussi intéressants à analyser que les réussites.

Le parc public de la ville de Kronach (Bavière), déjà mentionné ici il y a quelques jours, offre un bel exemple de ratage à l’intérieur d’un espace globalement très réussi et apprécié.  Ce parc a été aménagé en 2002 à l’emplacement de 15 ha de friches industrielles, en bord de rivière et au contact du centre-ville. L’opération, qui a mis en œuvre de gros moyens (budget de 7,4 millions d’euros), visait principalement la réalisation d’un parc de promenade autour du thème de la sculpture et de l’œuvre du peintre Cranach l’Ancien, natif de la commune. A l’intérieur de ce parc se trouve le jardin pour enfants, autour d’un ruisseau remis au jour. C’est une grande réussite, je constate d’ailleurs qu’après quinze ans cet aménagement très élaboré reste en parfait état d’entretien malgré une utilisation intensive. On trouve également une scène aquatique, posée sur l’eau (et sans aucun garde-corps, ce qui est proprement inimaginable chez nous). Le concept est séduisant, on voit d’ailleurs bien l’intention du paysagiste, mais il ne semble pas bien fonctionner : l’aménagement s’est notablement dégradé depuis 2004, peut-être la scène est-elle trop petite, ou mal positionnée par rapport aux gradins qui ne lui font pas face (léger détail !), ou trop dangereuse.

A l’extrémité du parc, à l’opposé de la ville, un curieux aménagement attire le regard. Douze fauteuils en béton, disposés en rangées comme au cinéma, font face à un cadre également en béton. On pressent là un « truc de paysagiste », et effectivement, quand on s’assied sur un de ces  inconfortables sièges, on voit que le cadre en béton entoure le paysage de la vieille ville, perchée sur son promontoire. « Kronach = Cranach = tableau », c’était donc ça le truc, et on imagine sans peine l’argumentaire déployé pour vendre la chose, dont l’esthétique massive évoque un peu celle de divers ouvrages qui ornent nos côtes depuis les années 1940. A cette réalisation lourdingue, on peut préférer le joli jardin collectif aménagé non loin de là, autour d’un four à pain. Notons au passage que par une étrange ironie, l’installation est flanquée d’un panneau en plexiglas décoré, représentant des fauteuils pliants et des parasols autour d’un guéridon, qui donnent une idée d’un aménagement léger autrement plus sympathique qui aurait pu être proposé en ce lieu.

Photos : en haut, la scène en 2004. Au centre, le cadre et les fauteuils. En bas, le panneau décoré près des fauteuils. Date de l’article d’origine : 16 mai 2019.

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