Les parcs, le bonheur et l’impôt

Si Flaubert avait mis une rubrique « Impôts » dans son Dictionnaire des idées reçues, je parierais bien qu’il y aurait écrit quelque chose comme  « Toujours trop lourds… tonner contre ! ». En plein dans notre grand débat national, le Washington Post du 11 janvier a le mérite de rappeler que les crédits pour les parcs publics et les espaces naturels ne tombent pas du ciel, mais qu’ils découlent de choix politiques dont la fiscalité est un des outils. Voici la traduction condensée de l’article de Christopher Ingraham :

« Une étude publiée dans Social Science Research révèle que les Américains témoignent de niveaux de bonheur supérieurs dans les États qui dépensent davantage pour des biens publics tels que les parcs, les bibliothèques, les infrastructures et la sécurité publique. En économie, les biens publics sont définis comme des biens accessibles à tous et dont personne n’est exclu. « Leur production n’est généralement pas rentable pour le marché privé, donc si le gouvernement ne les fournit pas, ils seront soit insuffisamment fournis, soit pas du tout », déclare l’auteur de l’étude, Patrick Flavin.

Du fait qu’elles sont destinées à tout le monde, les dépenses en biens publics sont politiquement moins polémiques que d’autres catégories de dépenses, comme les programmes de lutte contre la pauvreté ou les allocations de chômage. Flavin soupçonnait que les dépenses consacrées à ces types de biens seraient liées à des niveaux de bonheur plus élevés dans un État donné. En consacrant des ressources à des équipements qui, autrement, n’existeraient pas, « le gouvernement peut aider à créer et à maintenir des communautés dans lesquelles il est plus agréable de vivre », écrit Flavin. Au-delà, il semble probable que les dépenses consacrées aux espaces publics – tels que les parcs, les bibliothèques et les réserves naturelles – contribueraient à promouvoir la cohésion sociale. (…)

Pour tester sa théorie, Flavin a recueilli des données de l’Enquête sociale générale pour les années 1976 à 2006. Il s’est intéressé plus particulièrement à la question de l’enquête portant sur la satisfaction à l’égard de la vie, qui demande aux répondants d’évaluer leur bien-être sur une échelle de trois points (…). Il a agrégé les données de l’enquête au niveau des États et associé les réponses aux données sur les finances des États pour la même période. Il a défini les biens publics comme des dépenses couvrant les cinq catégories suivantes: bibliothèques, parcs et loisirs, ressources naturelles, autoroutes et police. Il a calculé les dépenses dans ces domaines en tant que part du produit brut total de l’Etat pour une année donnée, ce qui facilite les comparaisons entre États (…).

Flavin a également ajusté les données en intégrant un large éventail de variables démographiques influant sur le bien-être (…). Lorsqu’il a publié les chiffres, il a découvert une relation forte et statistiquement significative entre les dépenses en biens publics et le bonheur déclaré. Toutes choses égales par ailleurs, le fait de passer d’un écart-type inférieur à la moyenne à un écart-type supérieur a entraîné une augmentation d’environ 5 % de la probabilité qu’un répondant se déclare « très heureux ». En d’autres termes, si l’argent achète le bonheur, c’est ce que fait le gouvernement lorsqu’il investit dans les biens publics. (…) Flavin note également que le gain de bonheur au travers des biens publics est à peu près le même pour un grand nombre de variables démographiques (origines ethniques, revenu, éducation, etc). Cela suggère que les dépenses publiques consacrées à des services accessibles à tous ont un effet similaire sur le bien-être de tout le monde.

Comme Marina Whitman (Université du Michigan) l’a noté récemment, les dépenses consacrées aux biens publics ont subi les pressions des deux partis politiques ces dernières années. Les Républicains se sont focalisés sur les baisses des taxes qui financent ces dépenses, tandis que les Démocrates se sont plus intéressés à l’extension de la sécurité sociale. Il en résulte qu’au niveau fédéral au moins, il reste peu d’argent disponible pour les routes, les ponts et les parcs.

Les Américains sont profondément divisés quant au rôle que doit jouer le gouvernement dans la fourniture de biens publics et d’autres services. En 2017, un sondage (…) a ainsi révélé que 48% des répondants préféraient un gouvernement plus interventionniste fournissant davantage de services, tandis que 45% préféraient un gouvernement plus réduit proposant moins de services. Cela s’explique en partie par le fait que peu de dirigeants politiques américains semblent disposés à plaider en faveur de la fiscalité. On peut comparer les récentes contorsions des Démocrates sur la question de l’augmentation des impôts de la classe moyenne, par exemple, avec ce que l’auteur danois Meik Wiking écrit à ce sujet: «Nous ne payons pas d’impôts, nous investissons dans notre société. Nous achetons la qualité de vie. » (1) Les recherches de Flavin sur les avantages des dépenses publiques pour le bien-être suggèrent que Wiking marque là un point ».

(1) NB : c’est une autre manière de formuler une idée déjà développée par les Lumières (Condorcet ?), à savoir que l’impôt est une contribution que chacun se paie à lui-même, dans la mesure où chacun en obtient un retour sous une forme ou sous une autre. Voir aussi cet article de notre blog, évoquant à propos de la fermeture d’un parc public californien « tous ces trous du cul qui voudraient profiter de cet extraordinaire État sans avoir à payer les impôts qui rendent de tels bonheurs possibles » (cette citation provenant du site américain Grist).

Et à propos de Danois, vous pouvez lire ici un article sur le thème « Pourquoi les Danois sont heureux de payer plein d’impôts ».

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