Un des charmes de ce blog est qu’il nous balade ces temps-ci entre les ambiances contrastées des campagnes bretonnes et de New-York, grâce aux textes de notre cher W.H. Whyte. Restons aujourd’hui encore à New-York, pour commenter un grand article paru hier 14 mars sur le site du New York Times et qui éreinte en beauté un projet urbain appelé « Hudson Yards ». Avec son coût de 25 milliards de dollars, c’est l’une des plus grosses et coûteuses opérations d’urbanisme conduites à New-York dans les dernières décennies. Ce projet, en partie réalisé, associe des bureaux, des logements et des commerces dans un quartier de Manhattan longtemps resté vide, entre la rive de l’Hudson, la gare de Penn Station et l’extrémité nord de la célèbre High Line, promenade urbaine qui fut présentée ici en 2013.
Le critique du NYT n’est pas tendre avec l’architecture de cette « gated community » pour ultra-riches où chaque immeuble est conçu comme un logo publicitaire, l’ensemble faisant penser « à des bouteilles de parfums posées sur une étagère ». Mais plus que ces considérations esthétiques, ce qui nous intéresse ici, ce sont les aspects planification urbaine et espaces publics. Et là-dessus, Michael Kimmelman se montre virulent, considérant que la ville de New-York, rompant avec une longue tradition planificatrice dont témoignent d’ailleurs les textes de Whyte, a abandonné le terrain aux promoteurs, leur imposant seulement une vague obligation de laisser la moitié de l’espace sans constructions. Au lieu de se composer finement avec la trame des rues et du bâti alentours, comme le fit par exemple le Rockefeller Center en 1930, tout ce quartier s’affiche « en rupture » (une expression chère à certains architectes) avec son environnement, cherchant à épater le bourgeois et à l’attirer vers le centre commercial implanté en plein milieu. Les gratte-ciel, qui donnent l’impression d’avoir été posés au hasard et sans plan d’ensemble, ne laissent subsister qu’un espace public résiduel et souvent plongé dans l’ombre. Un paysagiste a actuellement la lourde tâche de tenter d’humaniser un peu cet environnement oppressant. Prenant pour référence le Rockefeller Center, Kimmelman rappelle que « l’architecture sans composition urbaine n’est que de la sculpture » et que « le succès d’un quartier et de ses activités commerciales repose sur ce qui se passe au niveau de la rue », déplorant que Hudson Yards ne tienne pas compte de ces principes.
Pour l’auteur, Hudson Yards témoigne à la fois d’une conception strictement marchande de la ville, et de l’incapacité des autorités locales à imposer aux opérations d’aménagement un intérêt général qui ne se résumerait pas à la somme d’intérêts financiers privés. Reste à voir si les New-Yorkais, en fonction de l’usage qu’ils feront de ce nouveau quartier, parviendront à apporter un peu d’humanité au milieu de cet amas « de verre, d’acier, d’ombre, de béton, de gigantisme et d’incohérence ». Enfin, l’article se conclut par une note franchement positive : un avantage incontestable de ces nouveaux gratte-ciel, c’est qu’en montant à leur sommet on n’est pas incommodé par la vue du quartier. Cette bonne blague avait servi il y a longtemps pour la tour Montparnasse, elle est décidément increvable.
Photo (NYT) : « C’est une relique d’une pensée datée, des années 2000, pratiquement dénuée de toute composition urbaine, qui refuse de se fondre dans le maillage de la cité ».
Date de l’article d’origine : 15 mars 2019