La méthode des sociotopes peut être utile pour développer l’offre d’espaces publics, améliorer des lieux qui fonctionnent mal, ou pour répondre à des besoins exprimés par les habitants d’un territoire. Mais peut-elle être employée pour produire des sociotopes dans des endroits où il n’y a rien, ni espaces publics, ni habitants – par exemple dans le cadre d’un projet urbain portant sur un site complètement neuf ? La réponse est assurément non, car la méthode est basée sur l’observation des pratiques ainsi que sur l’enquête auprès des habitants. Mais comment faire alors pour créer une structure d’espaces publics capables de répondre aux besoins d’habitants qui ne sont pas encore connus ?
Une réponse est donnée par le projet de déplacement de la ville de Kiruna, une cité minière de 18 000 habitants située en Laponie suédoise. Pour permettre le développement de la mine de fer, qui est l’une des plus importantes au monde, il est prévu de déplacer une partie de la ville vers un site aujourd’hui vierge, occupé seulement par de la toundra. Et il se trouve que le plan d’urbanisme de cette ville nouvelle a été confié au bureau d’études Spacescape, dirigé par notre ami Alexander Ståhle, et au cabinet d’architectes White. Il était donc intéressant de voir comment « monsieur Sociotopes » et ses collègues allaient aborder ce sujet.
Parmi les neuf principes directeurs du projet, une majorité concernent les espaces publics : créer un centre dense, mélanger les fonctions urbaines, offrir des rues vivantes, créer des parcs et places de haute qualité, offrir des lieux de rencontre, favoriser la promenade urbaine, garantir la sécurité… Ces idées ne sont pas forcément sorties de l’imagination des concepteurs, elles proviennent aussi d’une longue concertation avec les habitants, qui ont été particulièrement clairs dans leurs demandes de lieux de rencontre, de contacts avec la nature et d’espaces de promenade commodément accessibles.
Sur la base de ce cahier des charges, les concepteurs ont prévu d’offrir cinq types d’espaces publics, en plus des espaces de copropriété partagés par les habitants d’un bloc d’habitations par exemple :
- Des rues aménagées comme lieux de rencontre
- Des parcs de quartier
- Une place centrale
- Des parcs urbains
- Des liaisons vertes menant vers la nature.
Une fois cette typologie établie, restait à la transcrire sous forme de plan de composition urbaine, en veillant au respect de quelques principes de base rappelés par la méthode des sociotopes, notamment une répartition équilibrée au regard de la population prévue, une proximité maximale et une excellente repérabilité – avec des trajets aussi simples que possible pour y accéder.
Le résultat, visible sur le plan ci-contre, présente des aspects astucieux. En se combinant avec la partie de ville conservée, le projet crée un ensemble cohérent autour d’une place centrale et d’un parc urbain linéaire, en position centrale et relié à un quartier conservé. Il préserve deux digitations naturelles dont l’une vient au contact du centre, tandis que les quartiers urbains prévus pourront si nécessaire s’étendre tout en respectant ces espaces de nature. La conception des rues, en rupture avec la forme actuelle de Kiruna, privilégie un aspect urbain et dense, avec le maximum de « façades actives » dotées de magasins et de logements. On note aussi que le tracé des voies est simple et qu’il permet une excellente repérabilité des espaces publics, tout en échappant au quadrillage à l’américaine, si fréquent dans les villes du nord de la Suède et de la Finlande. Des outils d’analyse urbaine ont été mis en œuvre pour calculer l’offre d’espaces verts selon les quartiers, ainsi que les distance de marche pour y accéder, ce qui a aidé à proposer une répartition optimale. Enfin, et pour tenir compte de quelques particularités locales que l’on imagine sans peine, les questions de protection contre le vent, d’ensoleillement et de déneigement ont été prises en compte.
Les travaux de transfert, engagés en 2017, doivent se poursuivre jusqu’en 2100. Il sera intéressant de suivre cette expérience peu banale pour voir, notamment, si les espaces publics planifiés sont bien utilisés et si les concepteurs auront réussi à anticiper correctement les besoins des habitants, voire à adapter leur projet pour mieux y répondre.
Documents Spacescape. Rapport complet téléchargeable ici. En suédois, mais tout de même très intéressant à parcourir en tant qu’exemple de projet urbain rationnellement construit – et clairement présenté.
Date de l’article d’origine : 31 janvier 2019