Notre premier article spécifiquement consacré à la place des femmes dans les espaces publics urbains date de 2015, et faisait référence à une étude réalisée à Bordeaux en 2011. A l’époque, il y a seulement trois ans, il n’était pas courant en France de lire des articles ou des études sur ce sujet. Depuis, bien des choses ont changé – pas forcément sur le terrain pour les femmes, mais au moins dans les médias et dans la sphère politique. Même madame Le Pen s’y met, car il est notoire que le Français de souche est un parfait gentleman qui ne pratique pas le harcèlement, lui. Dans les villes, on a vu se multiplier ces dernières années les « marches exploratoires des femmes », dont on ne sait pas toujours si elles produisent grand-chose de concret, mais qui ont au moins le mérite d’éveiller les consciences.
Sous le titre « Une ville plus accueillante pour les femmes », le site Millénaire3 propose un entretien d’un grand intérêt avec le géographe bordelais Patrick Raibaud, auteur de « La ville faite par et pour les hommes » (Belin, 2015). On y retrouve, clairement exposés, beaucoup de sujets évoqués ici ces dernières années, mais un angle d’approche peut retenir particulièrement notre intérêt, c’est l’idée que « moins on est conforme à la norme virile hétérosexuelle dominante, et moins on a d’emprise sur la ville ». Dans cette perspective, la question de la « ville inclusive » ne concerne pas seulement les femmes, elle s’adresse plus largement toutes les personnes non conformes à ladite norme – y compris donc des hommes moins machos ou plus fragiles que la moyenne admise, et bien sûr les homosexuels, soumis à la « police du genre » exercée par les mâles dominants. Les propos de Patrick Raibaud me sont revenus en mémoire en écoutant il y a quelques jours (le 8 octobre, dans l’émission « L’Heure bleue » sur France-Inter), le sociologue Didier Eribon qui évoquait la dureté, voire les dangers, des espaces publics pour les homosexuels.
L’auteur est par ailleurs très critique sur les effets de la promotion des « déplacements doux » (marche à pied, vélo) qui, dans le contexte culturel que nous connaissons, tendent à pénaliser les femmes parce que ces modes de déplacement leur posent des problèmes spécifiques, au moins le soir et la nuit, ce qui n’est pas le cas avec la voiture.
Patrick Raibaud trouve toutefois des raisons d’espérer dans la mise en place de budgets municipaux « genrés » (intégrant la perspective de genre dans l’allocation de budgets à des équipements publics). Il prend également en exemple les résultats obtenus en Suède, notamment à Malmö, où des actions volontaristes font évoluer les comportements des filles et des garçons dans l’espace public. Il cite enfin une expérience instructive qui s’est déroulée dans le quartier de Mérignac, près de Bordeaux : » Il était question de déplacer un terrain de boules occupé par des hommes décrits comme envahissants et vulgaires. À la place, l’urbaniste envisageait un skatepark. Ce qu’ont proposé les femmes après une marche exploratoire c’est de ne rien mettre du tout, de façon à ce que le terrain soit libre, qu’on puisse garder la possibilité de mettre des tables avec des tréteaux ou une scène, pour faire des bals, une brocante, des repas de quartiers. Les propositions des femmes sont le plus souvent inclusives : d’une part parce qu’elles sont majoritaires lorsqu’il s’agit de s’occuper des enfants, des personnes âgées ou en situation de handicap, ensuite car elles ont des engagements généralement plus altruistes du fait de leur éducation ».
Merci à Katell Chomard pour l’information.
Date de l’article d’origine : 11 octobre 2018