L’Unicef, en plus de ses activités humanitaires, réalise aussi des enquêtes et des études. Il diffuse depuis hier les résultats d’une consultation nationale des 6-18 ans sur le thème « Quel genre de vie ? Filles et garçons : inégalités, harcèlements, relations »,et à laquelle 26 458 réponses ont été obtenues.
De ces données, l’Unicef tire quatre recommandations qui visent à « construire l’égalité dès l’enfance » et dont deux, qui concernent les espaces publics, nous intéressent particulièrement au titre de ce blog :
– Recommandation 1 : Accès aux loisirs, faire de la place pour les activités « filles »
Deux jeunes sur trois pratiquant une activité de loisir subventionnée sont des garçons. A partir de l’entrée au collège, l’accès aux équipements de loisirs se restreint pour les filles et elles deviennent rapidement invisibles dans l’espace public.
L’espace particulier des loisirs fixe donc des autorisations et des interdits (ce que je peux faire, pratiquer et ne pas pratiquer) à l’adolescence. Or, le premier apprentissage de l’espace du dehors chez les jeunes femmes se fait notamment en lien avec l’accès aux loisirs. Il faut renforcer, diversifier et donner de la place aux activités des filles.
– Recommandation 4 : Construire un espace public partagé : mixité des publics, mixité des usages
Même si chaque parcours individuel ne peut s’uniformiser, l’expérience vécue du territoire urbain se révèle différente entre le groupe des filles et celui des garçons. Il existe, et la consultation le montre, une forme de retrait des femmes dans la ville qui commence très tôt, renforcée par la crainte de l’extérieur plus forte chez les filles. Une majorité d’adolescentes anticipe la violence du dehors, cherchant à éviter les commentaires et évaluations sur leur corps dont elles redoutent les dérapages.
Ces différences n’ouvrent pas toujours sur une réflexion politique et technique qui permettrait l’amélioration de l’usage de l’espace public par les filles. L’aménagement du territoire sous l’angle du genre doit donc intégrer l’autolimitation par les femmes elles-mêmes à user librement de la ville, impact majeur de la mixité. Or, les politiques urbaines prennent très peu en compte la dimension sexuée de l’usage de l’espace public. Les politiques d’aménagement s’articulent autour de « l’habitant » : la neutralité des discours recouvre souvent une conception de l’espace répondant aux préoccupations de l’usager, homme actif. Elle répond à ses besoins de déplacement domicile/travail et à sa demande de loisirs masculins (stades de foot, boulodrome, skate park, équipements sportifs en accès libre…). Travailler les effets induits de l’aménagement sous l’angle du genre permet d’imaginer des espaces alternatifs. Prescrire un usage (jouer au foot, faire du skate, jouer aux boules) c’est prescrire un public et proscrire tous les autres usages et publics. Pour partager un espace, il faut se trouver ensemble dans un même lieu (et en même temps) afin d’engager une discussion sur l’usage. La mixité est donc le premier élément d’un espace public à partager. Les réponses passent par du mobilier mobile, des matières favorisant diverses pratiques, une réflexion sur l’emprise des bancs, la place de la végétalisation, la place des piéton·ne·s, la place de l’éphémère et de la création citoyenne.
Quelques observations maintenant :
1) Ceci rejoint un article récent dans lequel on signale que l’association de femmes à la conception d’un espace public avait débouché, à l’encontre de la proposition initiale du concepteur, sur la « non affectation » de l’espace à des activités pré-déterminées.
2) Le skate est mentionné ici, comme dans d’autres études, comme une activité de garçons. Pourtant, on voit aussi des filles faire du skate, et dans l’enquête que je viens de faire auprès de 87 élèves d’une commune rurale, il y a à peu près autant de filles que de garçons à réclamer un skate park ou autre équipement du même genre. Alors qu’en est-il réellement ? J’aimerais bien le savoir, et je pourrais avoir une réponse en observant ce qui se passe sur un skate park récemment aménagé dans ma commune.
3) Comment peut-on appliquer ces idées dans une petite commune, comme celle où je travaille actuellement et où l’expérience que les filles ont des espaces extérieurs est particulièrement pauvre par rapport aux garçons ? Il faut sans doute améliorer la sécurité générale de la voirie pour les enfants, peut-être aussi intervenir sur le fonctionnement des cours d’école (ce sujet sera abordé avec les enseignants) et, sûrement, sur ce fameux « skate park » tellement réclamé, qui pourrait bien faire l’objet d’une concertation avec les jeunes dans les mois à venir. Nous aurons donc à coup sûr à reparler de skate ici !
Illustration de Lisa Mandel pour l’Unicef. Date de l’article d’origine : 9 novembre 2018.