Le dernier livre de l’historien Alain Corbin, La Fraîcheur de l’herbe (Fayard Histoire, 238 pages, 19 €), n’est sûrement pas la plus fracassante de ses œuvres au plan de la recherche historique, et il n’a pas la même ambition que Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot, déjà évoqué ici. Plus que d’un travail d’historien à proprement parler, il s’agit d’une déambulation érudite à travers les arts et la littérature, sur le thème de notre rapport à l’herbe « de l’Antiquité à nos jours ».
Regrettant que ce rapport se soit beaucoup distendu, et en particulier que les enfants aient de moins en moins l’occasion de pratiquer l’herbe – pour s’y balader pieds nus ou y jouer, par exemple , l’auteur met en évidence le rôle central de l’herbe dans notre imaginaire, nos représentations et nos pratiques de l’espace. Il souligne également, un peu comme Bachelard l’avait fait avec l’eau, la diversité des symboles attachés à l’herbe selon qu’elle est folle ou domestiquée, associée à la vie, à la mort, à la paresse ou, bien sûr, à l’érotisme. Et là, notre éminent historien se révèle particulièrement inspiré, consacrant au sujet deux chapitres éloquemment intitulés Deux pieds de marbre blanc brillent sur l’herbe verte et L’herbe, lieu d’une « grande fornication ». On y trouvera, comme dans tout le reste de l’ouvrage, de bien jolies citations, et on ne pourrait que conseiller aux laborieux chargés d’études en biodiversité d’en émailler de temps à autre leurs rapports, histoire de les rendre un peu plus digestes.
Un des intérêts de ce travail est de rappeler que le débat entre les tenants de l’herbe haute et fleurie et ceux du gazon tondu bien ras ne date pas d’aujourd’hui, d’autant qu’il renvoie à l’éternel conflit entre les valeurs d’ordre et de liberté.
Une citation pour finir, déplorant « la déconnexion essentielle – qui, certes, n’est pas générale – entre l’enfant et le monde de l’herbe. Ce seul fait bouleverse l’histoire de l’émotion, perturbe le dessin de la nostalgie. En un mot, un clivage générationnel s’est établi, puis creusé. La dislocation de l’ancien socle agricole a rendu rares les expériences sensuelles qui se déroulaient sur le pré. Elle a fait oublier la gamme des gestes permis par l’herbe, tels que les roulades d’enfants sur les prairies en pente ou les embrassements amoureux au sein des hautes herbes ».
Photo : parc Montsouris, Paris, 23 juin 2018
Date de l’article d’origine : 19 juillet 2018