J’avais laissé tomber depuis un bon moment ce cher W.H. Whyte, mais comme les longues soirées d’hiver sont propices aux exercices de traduction, je m’y remets en attaquant le chapitre « le soleil, le vent, les arbres et l’eau » :
Le film le plus gratifiant que j’aie vue de ma vie, c’était notre enregistrement en accéléré du soleil passant sur Seagram Plaza. En fin de matinée, la place était à l’ombre. Puis, à l’approche de midi, un coin de soleil commençait à se déplacer vers la place, et les gens s’asseyaient en suivant ce mouvement (photo ci-contre). Là où il y avait du soleil, les gens étaient assis, et là où il n’y en avait pas, on ne voyait personne. La corrélation était vraiment splendide, et j’aimais ça. Comme les urbanistes, j’imaginais qu’une exposition au sud était d’une importance capitale, et il y avait de quoi le prouver.
Puis quelque chose commença à aller de travers. Les corrélations s’estompèrent – pas seulement à Seagram, mais aussi en d’autres lieux que nous étudiions. Le soleil se déplaçait, mais pas les gens. L’évidence finit par nous frapper : juin avait succédé à mai. Même si les températures n’avaient pas tellement monté, le surcroît de chaleur suffisait à marginaliser l’importance du soleil. C’est à cette époque qu’une bonne partie de Paley Park commença à être privée de soleil par la construction d’un immeuble de bureaux de l’autre côté de la rue. Depuis l’échafaudage, nous avions braqué une caméra sur le parc et enregistré les effets de la nouvelle construction. Étonnamment, il y en avait peu. Bien que l’ensoleillement se trouvât réduit, les gens utilisaient le parc comme avant. Peut-être l’auraient-ils utilisé davantage si le soleil était resté ; sans un endroit similaire pour comparer, vous ne pouvez jamais en être sûr. Mais le point le plus important était qu’en dépit de cette perte malencontreuse, le parc était capable d’y faire face.
Toutefois, ce que de simples chiffres ne mesurent pas, c’est la qualité de l’expérience des gens, qui peut être bien meilleure s’il y a du soleil, surtout s’il y a le choix – du soleil, de l’ombre, ou de la mi-ombre. Le meilleur moment pour s’asseoir sous un arbre, c’est quand il y a du soleil dont on veut se protéger. Plus il y a d’accès au soleil, mieux c’est, et s’il y a une exposition au sud, il faut en tirer parti au maximum. Le règlement d’urbanisme de New-York demande maintenant que les plazas et les espaces publics soient orientés de la sorte.
Photo du haut : Seagram Plaza (New-York) en mai à 11 h 45 : le soleil commence à éclairer les lieux. Photo du bas : bord de rivière à Désaignes (Ardèche) par 30° à l’ombre.
Date de l’article d’origine : 28 novembre 2018