C’est le titre d’un ouvrage en anglais sorti le 24 septembre, avec le sous-titre « Les dimensions spatiales de la cartographie sociale ». Il est l’œuvre de l’urbaniste britannique Laura Vaughan – qui est d’ailleurs, à proprement parler, une spécialiste en « urban design », et non une « architecte-urbaniste » au sens où on l’entend en France.
Ce livre, qui présente une forte dimension historique, expose la manière dont les phénomènes sociaux ont été cartographiés. Il aborde notamment les thèmes de la maladie, du logement, de la pauvreté, de l’ethnie, de la nationalité, de la religion, ainsi que de la criminalité et du « désordre » sous toutes ses formes . On y trouve même des développements sur la cartographie de la morale publique avec (page 180) une carte de 1884 intitulée « Le fléau moderne de Londres », dressée par la Ligue nationale de tempérance et répertoriant les débits de boissons. A la suite de ce document figure (page 182) une autre carte, réalisée en 1900 par le sociologue Charles Booth, qui localise non seulement les débits de boissons, mais aussi les lieux de culte et les établissements scolaires, posant ainsi les bases d’un travail d’analyse géographique des conditions de vie par l’intégration de plusieurs types de données. Aux pages 195 et suivantes, on a aussi des exemples de cartographie de la criminalité à Chicago, un excellent endroit pour traiter ce genre de sujet dans les années 1920.
Il n’est pas particulièrement question des sociotopes dans ce livre, mais les liens avec notre sujet sont multiples. La carte de la page 213, intitulée « 15 minutes de marche autour d’une gare ou d’une station de métro : les inégalités spatiales dans les banlieues parisiennes », nous renvoie à des thèmes souvent évoqués ici (les distances réelles de marche, les inégalités spatiales en matière d’accès aux espaces verts…). La carte de la page 51 (enfants victimes d’accidents causés par des voitures à Detroit, 1970) aborde un sujet également important pour nous (1). Enfin, une partie annexe intitulée « L’analyse spatiale de la société » souligne l’intérêt des outils de syntaxe spatiale (dont le logiciel DepthMap, plusieurs fois présenté ici) pour analyser des sujets tels que la connectivité des réseaux de rues, la visibilité des espaces, la complexité des parcours ou le degré d’intégration d’un lieu par rapport à un autre. L’auteur rappelle que la notion géométrique d’intégration spatiale est fortement liée à celle d’intégration sociale. Appliquant l’outil DepthMap à une carte de la pauvreté à Londres en 1889 (page 228), elle montre que les rues les mieux intégrées géographiquement sont aussi les plus prospères, tandis que la pauvreté se concentre dans les secteurs les moins bien desservis et connectés à l’ensemble de la ville. Cette approche peut s’appliquer à des domaines multiples, de l’urbanisme à la science politique, pour comprendre par exemple les rapports entre la relégation spatiale et des comportements politiques.
Ce livre, agréable à lire et bien illustré (voir par exemple l’exceptionnelle carte « moderne » d’Imola par Léonard de Vinci en 1502, page 3), peut intéresser toute personne curieuse d’urbanisme, de géographie et de sociologie. La version en ligne (voir ci-dessous) est aisée à parcourir grâce à un sommaire interactif.
Références : Mapping Society / The Spatial Dimensions of Social Cartography, par Laura Vaughan, UCL Press (University College London), 2018, 270 pages, téléchargeable gratuitement ici.
Illustration : pauvreté, crime et immoralité à Liverpool, d’après Abraham Hume en 1858 (Conditions of Liverpool, Religious and Social). Image extraite de l’ouvrage.
(1) La légende de la carte d’origine ne manque pas d’intérêt : « Aller à l’école oblige les enfants à traverser des rues dangereuses. Devant les écoles, pas moins de cinq ou six « accidents » surviennent chaque année. Si vous pouvez prédire un événement, pourquoi le qualifier d’accident ? Si vous pouvez pointer un lieu et dire « ici, cinq autres enfants seront touchés l’année prochaine », c’est la configuration des rues, et pas des mères négligentes, qui sont la cause de morts et de blessures ».
Date de l’article d’origine : 3 octobre 2018