Il y a quelques jours, le site du New-York Times a gratifié ses lecteurs d’un superbe reportage illustré sur les plages de New-York, et nous amène par la même occasion à nous intéresser à l’œuvre de l’urbaniste Robert Moses (1888-1981). Non content d’avoir « adapté New-York à l’automobile » en la dotant d’un énorme réseau de voies rapides urbaines, mais aussi d’avoir permis la création de centaines de parcs et jardins, cet éminent personnage a créé des plages de toutes pièces à partir des années 1920 par des travaux colossaux d’apport de sable et de construction d’équipements pour le public.
Jusque là, tout va bien, mais le NYT nous indique que « le paradoxe des plages de M. Moses était le mépris qu’il témoignait pour les gens qui en profiteraient. Il rendit le littoral accessible, mais il travailla dur pour bloquer leur accès aux Noirs et aux familles à faibles revenus, souvent en violation de la loi. Dans la biographie de Moses que publia Robert Caro en 1975, on trouve une anecdote au sujet de Frances Perkins, ministre du Travail de 1933 à 1945, choquée en découvrant à quel point Moses méprisait les gens pour lesquels il travaillait : « Pour lui, c’étaient des individus négligents et sales, qui jetaient des bouteilles tout le long de Jones Beach. A ses yeux, le public c’était juste le public ; il aimait le public, mais pas les gens ». Mais quiconque a passé une après-midi d’été sur le littoral new-yorkais sait qu’aimer la plage, c’est aimer – ou au moins tolérer – les gens : les familles qui s’étalent avec leurs tentes et leurs glacières, les vieux types en speedo, les marchands de cocktails, les enfants sautant dans les vagues… »
L’auteur de l’article, Nathalie Shutler, poursuit en racontant son expérience des plages new-yorkaises : « Je me dénichai un petit coin de sable et me rendis compte, progressivement, qu’en dépit de l’affluence phénoménale la plupart des gens n’avaient pas l’impression d’être dans une foule (1). Ils se lâchaient comme s’ils étaient dans leur salle de séjour, quasiment nus et pour ainsi dire à touche-touche. Mais la plupart donnaient l’impression d’être dans leur petit monde à eux. Il y a un code de conduite non écrit : Laisser de la place aux autres, physiquement ou, du moins, psychiquement. Tout le monde a besoin de respirer, de se faire de la vitamine D, de nager dans l’eau salée et de laisser les enfants se dépenser à fond. C’est un peu bizarre qu’il faille le faire en foule sous un soleil de plomb, mais c’est comme ça ».
(1) Ce qui confirme un paradoxe mainte fois exposé ici, notamment à partir des observations de W.H. Whyte, un autre urbaniste new-yorkais qui, lui, adorait les gens : une foule peut être un excellent endroit pour se sentir tranquille.
Photo : Daniel Arnold pour le New-York Times
Date de l’article d’origine : 11 septembre 2018