Encadrement juridique des aires de jeux

Nos fidèles lecteurs ont dû saliver plus d’une fois à la vue de magnifiques aires de jeux qui non seulement ont été conçues avec imagination, mais qui se prêtent aussi à des pratiques imaginatives. Ils ont souvent dû se dire que « Hélas, ça n’est pas possible en France ». Mais est-ce si sûr ? Qu’en est-il réellement des règles applicables en la matière, les normes derrière lesquelles on se retranche souvent sont-elles vraiment obligatoires, quelle est la marge laissée à la créativité ?

Réglons déjà la question des normes techniques : tant qu’elles ne sont pas reprises ou visées par un texte législatif ou réglementaire, elles n’ont pas de caractère obligatoire et leur objectif est de promouvoir des « bonnes pratiques » dans le cadre d’une concertation entre les parties concernées. Toutefois, dans la mesure où ces normes intègrent des considérations de sécurité, le fait de les prendre en compte tend à rassurer la collectivité qui crée une aire de jeux.

En ce qui concerne le cadre réglementaire des « aires collectives de jeux », celui-ci est fixé par le décret du 18 décembre 1996. Ce texte court contient des principes importants :

Le principe de prévention des risques : l’article 2 dispose que « Les aires collectives de jeux doivent être conçues, implantées, aménagées, équipées et entretenues de manière à ne pas présenter de risques pour la sécurité et la santé de leurs usagers dans le cadre d’une utilisation normale ou raisonnablement prévisible. Peuvent seules être mises à la disposition des enfants (…)  les aires collectives de jeux qui respectent les prescriptions de sécurité définies à l’annexe du présent décret et dont les équipements sont conformes aux dispositions législatives ou réglementaires en vigueur ».

Le principe de « contrôlabilité » de l’équipement (art. 3) : les services chargés du contrôle doivent pouvoir se faire communiquer des plans, des rapports d’entretien, des notices de montage, des adresses de fournisseurs  etc.

L’annexe au décret, assez brève également, précise ces dispositions sur des aspects pratiques tels que l’accessibilité, les possibilités de surveillance, les végétaux, les risques de noyade, l’hygiène, les matériaux de revêtement et de réception, la maintenance et le contrôle.

Bien qu’assez basiques, ces prescriptions se révèlent contraignantes à l’égard de tout projet qui chercherait à proposer des activités ou des jeux utilisant par exemple des matériels de récupération. Si l’on considère une aire de jeux qui proposerait des vieilles palettes, des planches ou des troncs que les enfants puissent disposer à leur guide, on voit qu’elle risque de ne pas respecter le principe selon lequel « les éléments des équipements doivent être installés de façon à assurer la stabilité de ces derniers et à éviter ainsi tout risque de renversement, de chute ou de déplacement inopiné ». En outre, l’absence de fabricant identifié pose problème en cas de contrôle.

Sur la question plus large de l’aménagement des espaces verts (donc pas seulement des aires de jeux), un autre texte éclairant est une [lien disparu] « circulaire » (?) de 2003 (?) du Ministère de l’économie et des finances, centrée sur le thème des marchés publics dans ce domaine. On y lit notamment, page 35, que « les aires de jeux doivent être conçues évidemment de telle sorte que les accidents corporels soient évités au maximum. Toutefois, cette recherche de sécurité ne doit pas aboutir à la création d’espaces verts dans lesquels toute possibilité d’aventure est exclue, avec pour conséquence d’être d’une banalité affligeante. Les aires de jeux sont inséparables des activités physiques et de créativité qui sont indispensables à l’épanouissement des enfants. Ces activités comportent une part de risque dont le rejet aboutirait à brider les besoins d’expression de l’enfant mais l’empêcherait également de prendre conscience des responsabilités qui lui incombent ». On ne saurait mieux dire… et nous voilà au cœur du problème : comment concilier cette conception « éclairée » de l’aire de jeux avec les dispositions du décret de 1996 ? L’alternative me semble assez claire : soit la réponse est technique (il va s’agir d’implanter des équipements fournis par des fabricants officiels et favorisant « l’aventure » – mais est-ce possible ?), soit elle va consister à explorer les éventuelles marges de manœuvre laissées par le décret. S’il s’agit de proposer aux enfants des matériaux de construction en bois, ou encore un vieux tracteur, on voit que la marge est étroite. Une autre solution, quand il y a un espace naturel adjacent, peut être d’intégrer celui-ci à l’aire de jeux, la nature fournissant gratuitement des matériaux et diverses « structures » de jeux qui échappent à tout cahier des charges, tandis que des parents peuvent apporter en douce quelques planches ou matériaux de récupération (1).

Pour « éclairée » qu’elle soit sur certains points, la circulaire reflète aussi des visions très traditionnelles en matière de conception des aires de jeux, puisque tout est fondé sur la compétence de « l’homme de l’art » (l’entrepreneur-paysagiste) qui sait ce qu’il a à faire. On cherche en vain dans les 67 pages du document une allusion à de la co-construction ou simplement de la concertation avec les usagers. Quant à la possibilité d’évaluer l’équipement après une période de fonctionnement et de modifier des aménagements suite à cette évaluation, pas de traces non plus, si ce n’est à la page 30 le rappel que l’usage d’un espace vert « est normalement appelé à évoluer dans le temps » et que « On peut ainsi être amené à réaménager un espace vert dix ou vingt ans après sa création ». L’idée qu’il puisse y avoir des défauts de conception auxquels il conviendrait de remédier rapidement ne semble pas avoir frappé les auteurs…  mais peut-être la chose est-elle inconcevable, dès lors que « l’homme de l’art » est réputé infaillible.

Photo : terrain de jeux à Tokyo, source : dismalgarden.com. Date de l’article d’origine : 16 mars 2018.

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(1) Faisant tester une aire de jeux de ma commune par ses deux jeunes enfants, l’urbaniste suédois Alexander Ståhle, « père » des sociotopes, me demanda : « Mais pourquoi n’a-t-on pas intégré à cette aire un bout du bois (public) limitrophe ? Cela aurait permis des expériences plus variées et intéressantes pour les enfants ». Bien vu…

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