Nous avons souligné ici à quel point l’arrivée de la neige peut transfigurer un square urbain et faire exploser ses usages ludiques, du moins jusqu’à ce que les autorités en interdisent l’accès pour « raisons de sécurité ». Mais la neige n’est pas toujours là, et le reste de l’hiver, parcs et jardins font souvent grise mine. Ces derniers jours, j’ai eu sous les yeux un jardin public de la ville de Kehl, en Allemagne (photo ci-contre). L’endroit ne manque pas d’attraits, mais il est balayé par un vent de nord glacial, qui arrache les dernières feuilles des charmilles. Des passants et cyclistes emmitouflés le traversent à la hâte, quelques courageux joggers en font le tour en début de matinée, les seules personnes à s’attarder sont celles qui sortent leur chien, celui-ci imposant son rythme au gré de son inspiration à lever la patte. Une certaine tristesse se dégage du lieu, on est loin des scènes d’ébats hivernaux peintes par Brueghel.
De l’autre côté du Rhin, à Strasbourg, on se gèle tout autant, mais en maints endroits de la ville, des attroupements se forment autour des kiosques à vin chaud. Là où des tables sont proposées, on voit même des gens s’arrêter, généralement par deux, pour siroter le brûlant breuvage qui, irradiant les entrailles, tient un moment à l’écart les rigueurs hivernales. Comme lesdits kiosques proposent aussi des soupes, des gaufres, des saucisses et toutes sortes de friandises, il y a de quoi inciter à la pause, et l’on peut ainsi constater la justesse du conseil de W.H. Whyte : « Si vous voulez apporter de la vie dans un lieu, mettez-y de la nourriture ». A l’inverse, la place de la gare, qui baignait il y a quelques années dans les effluves du vin chaud à l’époque du marché de Noël et grouillait d’animation jusqu’à tard en soirée, est aujourd’hui désertique et se traverse en toute hâte, depuis que les kiosques ont été déménagés vers le centre historique pour cause de prévention du terrorisme. Enfin, le 13 décembre, le soleil daigne faire quelques brèves apparitions, et deux jeunes filles en profitent pour s’installer face à lui et à l’abri du vent, dans un angle du mur sud de la cathédrale : un bel exemple de ce que les Américains appellent les « sun traps » (« pièges à soleil »), ces lieux rares où l’on peut à la fois s’asseoir et récupérer de précieuses calories quand le reste de la ville grelotte sous les bourrasques.
Date de l’article d’origine : 15 décembre 2017.