Dans leur usage des plazas, les New-Yorkais se montrent très réguliers. Jour après jour, beaucoup d’entre eux s’assoient sur certaines plazas, et peu sur d’autres. A première vue, il n’y aurait pas dû y avoir de telles différences. La plupart des plazas que nous avons étudiées étaient assez semblables. A quelques exceptions près, elles étaient en façade sur de grandes avenues, proches d’arrêts de bus ou de stations de métro, et longées par d’importants flux de piétons marchant sur les trottoirs. Pourtant, lorsque nous avons classé les plazas en fonction de leur fréquentation à l’heure de pointe, l’éventail est apparu très large – de 160 personnes au 77, Water Street, à 17 au 280, Park Avenue.
D’où cela vient-il ? Le premier facteur que nous avons étudié était le soleil. Nous avons pensé que ce pouvait bien être le critère déterminant, et nos observations en accéléré semblaient valider cette idée. Mais nos études ultérieures ne le confirmèrent pas. Comme je le développerai plus loin, elles montrèrent que le soleil était important mais qu’il n’expliquait pas les différences dans la popularité des plazas.
L’esthétique n’était pas déterminante non plus. Nous ne nous sommes jamais sentis capables de mesurer ce genre de facteur, mais nous nous attendions à ce que nos recherches désignent les plazas les plus agréables à la vue comme étant les plus populaires. Seagram Plaza nous a semblé bien illustrer la question. Là encore, l’évidence s’est révélée contradictoire. Cette plaza propre et élégante n’était pas la seule à avoir du succès ; c’était aussi le cas de la curieuse plaza du 77, Water street, que certains architectes considèrent comme kitsch. Nous avons aussi remarqué que l’élégance et la pureté du dessin d’un immeuble semble avoir peu d’incidences sur l’usage de l’espace environnant. L’architecte voit l’ensemble du bâtiment – la netteté des verticales, les horizontales, la façon dont Mies van der Rohe a traité les angles, etc. Mais la personne qui est assise sur une plaza n’en a pas conscience. Elle est plutôt portée à regarder dans d’autres directions : non pas vers le haut, mais vers ce qui se passe à hauteur d’œil. En disant cela, je ne cherche pas à minimiser le regard de l’architecte ou sa façon de traiter l’espace. Les alentours de Seagram forment un remarquable espace urbain, et la relation de la place avec les constructions de l’autre côté de la rue en font partie intégrante. Mon impression personnelle est que la sensation d’être dans un espace bien délimité participe à l’agrément d’usage de cette plaza. Mais je serais bien incapable de le prouver avec des chiffres.
Photo : Seagram Plaza et l’immeuble de Mies van der Rohe (1958), source : Google Maps.