(suite de la traduction de « The Social Life of Small Urban Spaces », de W.H. Whyte)
Un autre facteur que nous avons examiné est la forme de l’espace. Les concepteurs d’espaces urbains pensaient que c’était extrêmement important, et ils espéraient que notre travail justifierait des règles plus strictes en matière de proportions et d’implantation. Ils étaient particulièrement désireux de mettre hors-jeu les « plazas en bandes » – de longs et étroits espaces à peine plus larges que des trottoirs, et vides la plupart du temps. Ils considéraient qu’un promoteur ne devait pas pouvoir en retirer un « bonus » en matière de droits à construire, et qu’il convenait d’interdire les plazas dont la longueur était supérieure à trois fois leur largeur.
Nos données n’allaient pas dans ce sens. Nous avons constaté que la plupart des plazas en bande étaient effectivement vides la plupart du temps. Mais la forme en était-elle la cause ? Quelques plazas carrées étaient également vides, et plusieurs des espaces les plus intensément utilisés étaient des bandes longues et étroites. Un des cinq espaces les plus populaires pour s’assoir à New York est pour l’essentiel un renfoncement dans un bâtiment, et il est à la fois long et étroit. Notre recherche n’a pas montré que la forme était sans importance ou que l’intuition des designers était mauvaise mais, comme pour le soleil, il est apparu que d’autres facteurs avaient davantage d’importance.
Si ce n’est pas la forme, est-ce alors la quantité d’espace qui a le rôle déterminant ? Certains environnementalistes en étaient persuadés. Pour eux, les gens recherchent des espaces ouverts pour se reposer du surpeuplement auquel il sont soumis, et il en découlait que les espaces les plus attractifs devaient être ceux offrant les plus grandes sensations d’espace et de lumière. Si nous classions les plazas en fonction de la surface d’espace qu’elles proposent, il y aurait sûrement une corrélation positive entre la surface et le nombre de personnes à l’utiliser.
Une fois de plus, nous n’avons pas trouvé de relation claire. Plusieurs petits espaces attiraient beaucoup de monde, plusieurs grands espaces avaient aussi beaucoup de monde, et plusieurs des plus grands espaces étaient très peu fréquentés. Apparemment, ce n’est pas l’espace en lui-même qui attire les gens. Dans certaines circonstances, il peut même avoir l’effet inverse.
Qu’en est-il de l’offre d’espace asseyable (1) ? Là, nous approchons du but. Comme on le voit sur nos graphiques, les plazas les plus populaires tendent à offrir beaucoup plus d’espace pour s’assoir que les moins fréquentées. La relation est un brute, parce que la quantité d’espace asseyable n’inclut aucune considération qualitative : un mètre de corniche en béton compte autant qu’un mètre de banc confortable. Nous avons donc entrepris de pondérer les choses en donnant des points : tant de points pour un mètre de banc avec dossier, ou avec des accoudoirs, etc. Ceci aurait pu permettre d’avoir une meilleure concordance des résultats. Mais nous avons abandonné cette idée parce qu’elle nous semblait trop manipulatrice. Quand vous commencez à travailler ainsi à l’envers, vous n’en voyez plus le bout. Et il n’y avait pas de nécessité de le faire, car indépendamment des variables que nous pouvions introduire, un point se dégageait – et nous avons fini par nous rendre compte que c’était le plus important : les gens tendent à s’assoir là où il y a des endroits pour s’assoir.
Cela ne vous frappera peut-être pas comme une bombe intellectuelle et, maintenant que je repense à la façon dont nous avons travaillé, je me demande pourquoi nous ne nous en sommes pas rendu compte dès le début. Assurément, l’espace asseyable n’est qu’une des nombreuses variables, et on ne peut jamais être sûr des causes et des effets. Mais il est certain que l’espace asseyable est un pré-requis. Les fontaines les plus attirantes, les aménagements les mieux dessinés n’inciteront pas les gens à venir et à s’assoir s’il n’y a nulle place pour s’assoir.
(1) Cet adjectif correspondant à « sittable » n’existe pas en français, mais rien n’interdit de le créer, de même que l’on parle aujourd’hui de villes « marchables ».
Photo : la taille d’une espace ouvert urbain ne suffit pas à assurer son succès, il faut aussi des lieux pour s’asseoir… (parc A. Citroën, Paris).