« Dimension ludique » de l’aménagement et « infantilisme vert »

Sous le titre « Réinventer la Seine sombre dans l’infantilisme vert », le journaliste Frédéric Edelmann, dans Le Monde du 4 août 2017, présente les projets selon lui « globalement consternants » du concours visant à rénover 35 sites bordant la Seine entre Paris et Le Havre. 

« Pour prendre la mesure de la désolation, il faut se souvenir de [l’opération Banlieues 89] puis du concours de 1984 qui avait accouché de résultats globalement consternants et naïfs. Face à cet urbanisme-gadget, Frédérique de Gravelaine (…) parlait de « beaucoup de mots et peu de choses ». Trente ans ont passé depuis cette opération de propagande, et que voit-on au Pavillon de l’Arsenal ? Les enfants et petits-enfants de Banlieue 89. (…)

La proximité de la Seine conduit à la multiplication de barges avec ou sans piscine, de boulangeries, de boîtes de nuit, de moulins, de brasseries, d’aires de jeu en pagaille, de librairies, toutes « fonctions » pouvant s’associer dans des accumulations surréalistes.  En témoigne cet extrait du descriptif d’un des lauréats : « Lieu de rencontre, d’échanges, d’inspiration et de divertissement, ouvert à tous les publics et à la disposition de tous les acteurs de la scène urbaine. La majorité des activités sont en accès libre et gratuit ». Et cela continue : « Le bâtiment flottant propose un espace d’expositions temporaires avec des ateliers d’artistes et un bassin accueillant l’eau de la Seine, un espace d’exposition permanente avec une bibliothèque, un bar, un lieu d’accueil, une boutique et enfin une grande terrasse avec un bar couvert. Ce lieu accueille un vivier d’événements culturels et artistiques : visites d’expositions, mini-foires d’art urbain, pop-up galerie, pop-up ateliers d’artistes résidents, ateliers pour enfants, ateliers initiatiques, conférences, projections, performances, concerts, soirées artistiques étudiantes, une conciergerie du marché de l’art… » Il n’y a pas de place pour la pêche ni de terrain de pétanque, ni de fitness center, mais ça se trouve ailleurs.

Tant qu’on en reste à ce type de logorrhée, au fond, ce n’est pas très grave. Ce qui l’est , c’est la façon dont l’infantilisme, ou si vous préférez la « dimension ludique », se substitue à une réflexion véritablement généreuse. Paris doit-il n’être plus qu’un terrain de jeux ? Est-ce pour desservir cet univers d’adultes [sic] attardés que les institutions du Grand Paris ont lancé le plus grand concours européen pour transformer les infrastructures d’Ile-de-France ? Mais le plus grave, c’est le mauvais exemple donné aux nouvelles générations d’architectes. Toutes les toisons végétales qui entourent et recouvrent ces projets dissimulent en effet des simagrées de première année, d’où toute forme de réalisme est bannie au profit de dessins inaboutis et enfantins. Serait-ce une suggestion pour les Jeux Olympiques ? »

Il n’est pas dans mon propos de porter une quelconque appréciation sur le projet « Réinventer la Seine », auquel je ne connais rien, il faut sans doute tenir compte du fait que l’on a volontiers la dent dure dans les milieux de l’architecture, et on apprécierait que M. Edelmann nous en dise un peu plus sur ce que devrait être selon lui « une réflexion véritablement généreuse ». Cela dit, cet article très critique présente de notre point de vue plusieurs intérêts. Il rappelle en effet qu’un projet urbain ne peut se résumer à accumuler des « fonctions ludiques », il suggère aussi que l’accumulation de « fonctions » prédéterminées par des têtes pensantes ne peut suffire à assurer le succès, qu’on est là typiquement dans une approche descendante de l’aménagement et que l’analyse des besoins réels des habitants est d’emblée évacuée au profit de « visions » de « professionnels de la profession ». On touche là une contradiction entre l’esprit de participation prôné par les autorités et le goût desdites autorités pour le « concept » dans le vent ou l’objet prestigieux. Mais on pourra objecter que les grands aménagements urbains et paysagers qui font aujourd’hui la fierté des villes, à commencer par le « grand axe » parisien, ont été conçus par des professionnels et pas dans des réunions de quartiers.

Illustration extraite du dossier de presse de l’appel à projets. Pas de crédit photos. Date de l’article d’origine : 11 septembre 2017.

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