Vie, mort et renaissance des chemins

Nous nous sommes demandé jadis si les chemins et sentiers pouvaient être considérés comme des sociotopes, et nous avons conclu qu’en France, la réponse était plutôt positive (voir Chemins et sentiers sont-ils des sociotopes ?).  Mais ce n’est pas vraiment le sujet pour aujourd’hui, car nous avons exhumé un mémoire de géographie intitulé « A la recherche des sentiers perdus : approche historique de l’évolution du réseau de sentiers dans la vallée du Vénéon (Oisans) », soutenu par Katell Chomard à l’Institut de géographie alpine en 2000 (et malheureusement trop lourd pour être proposé au téléchargement ici).

Ce travail est basé sur l’étude de multiples sources documentaires, et aussi sur un grand nombre d’entretiens avec les habitants, en faisant appel à leur mémoire. Les parts de far breton apportées par l’auteur (brestoise) à ses interlocuteurs montagnards semblent avoir eu l’heureux effet de délier les langues et de fournir ainsi un matériau très riche.

Un des mérites de ce travail est de replacer le sentier au cœur d’une vie économique multiforme, quadrillant littéralement tout le territoire. La fenaison, le pâturage et la transhumance, l’exploitation forestière, les activités minières, la chasse, le transport de marchandises d’une vallée à l’autre ont créé et entretenu d’innombrables sentiers qui tracent l’image d’une montagne habitée, dont toutes les ressources étaient utilisées. L’abandon de certaines pratiques et la contraction de l’activité économique vers les fonds de vallées vont se traduire par la disparition de nombreux sentiers, d’autres étant en revanche conservés et aménagés pour le passage de véhicules. Mais c’est l’arrivée du Tourisme qui va redonner un coup de jeune aux antiques sentes montagnardes. Sauvés de l’abandon par l’alpinisme et la randonnée, ces chemins vont se trouver « patrimonialisés » à la fois parce qu’ils mettent les joies de la montagne à la portée de la « classe de loisir », selon l’expression du sociologue Veblen, et qu’ils témoignent d’un mode de vie révolu. La vie continue, donc, et même si ce ne sont plus les mêmes genres de troupeaux qui empruntent ces chemins, l’essentiel est sans doute que perdure le lien entre les hommes et la montagne. Comme le dit un journaliste cité dans le mémoire, « Cheminer sur les anciens chemins, refaire les routes d’autrefois, n’est-ce pas, par la magie du geste, rajeunir le monde ? Suivre les sentiers de mémoire ajoute à la randonnée un brin d’illusion. Les ponts, les arbres et les vallons se mettent à parler. Les gens de rencontre deviennent des personnages. Le piéton s’émancipe, il ne traverse plus le paysage, il l’habite ».

Des observations du même genre pourraient être faites ailleurs en France dans des environnements variés. Si l’on s’intéressait par exemple à l’histoire des réseaux de sentiers dans le Cap Sizun (Finistère), on constaterait la disparition d’une foule de sentiers qui donnaient accès à des coins de pêche confidentiels ou à des micro-parcelles pâturées ou cultivées jusqu’à flanc de falaises. Mais on verrait aussi l’apparition de nouveaux itinéraires à vocation touristique, plutôt perpendiculaires aux anciens, puisque si l’on se plaît aujourd’hui à longer la côte, personne n’aurait eu ce genre d’idée autrefois lorsqu’on « allait à la côte » pour des raisons économiques.

Photo du haut : un chemin d’exploitation face à la Meije, pas très loin de la vallée du Vénéon. Photo du bas : entre un quartier HLM de Nevers et les bords de la Loire, le passage des habitants ouvre des sentes qui deviendront peut-être un jour des chemins aménagés.

Date de l’article d’origine : 20 décembre 2016

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