Espaces publics des villes moyennes

Passant la semaine dernière devant une librairie, j’entre pour demander « un livre dont j’ai oublié le titre et dont je ne connais ni l’auteur, ni l’éditeur », et la libraire me tend directement « Comment la France a tué ses villes », d’Olivier Razemon, qui vient de paraître. Ce n’est pas ce que je cherche, mais je le prends sans même l’avoir ouvert, car le sujet est alléchant et Razemon tient un fameux blog à la gloire du vélo urbain. Puis on m’apporte « Tour de France des villes incomprises », de Vincent Noyoux, et cette fois c’est ça. De plus, quelque chose me dit que ces deux bouquins doivent être complémentaires.

Le « Tour de France » nous balade de Vesoul (à cause de Brel) à Maubeuge (à cause de Bourvil) en passant par Vierzon (re-Brel), Guéret, Cholet, Cergy ou Châtelguyon. On aurait pu y trouver aussi Châteauroux, Montluçon, Issoudun, Moulins ou Nevers, par exemple, mais qu’importe, les échantillons sont bien choisis. Comme le dit la jaquette, « ces villes ne font pas rêver mais gagnent à être connues », et l’auteur s’évertue à en débusquer les charmes cachés, sans occulter non plus les faubourgs glauques, les murs lépreux, les magasins fermés, les squares miteux et les places envahies de voitures. Vous apercevez déjà le lien avec l’autre livre, nous allons y revenir.

En ce qui concerne les espaces publics, l’auteur est très inspiré par certaines réalisations d’un paysagisme conceptuel, du genre à nécessiter un mode d’emploi pour comprendre les intentions profondes. On se régale de ses commentaires gentiment réacs sur le Tiers-Jardin de Saint-Nazaire ou sur le Grand Axe de Cergy avec ses « harmonies cosmiques » et ses « ambitions spatialistes ». Moins drôles sont les évocations de ces « places réduites à la seule fonction de parking » (Maubeuge) ou des ravages d’une certaine modernité (à Cholet, « on a goudronné une ravissante ruelle pavée de granit rose, et on a rasé les arbres et le bassin de la place Travot pour faire moderne. Aujourd’hui, c’est un grand espace vide »). On pense à des images du livre de Depardon présenté ici il y a quelques années (voir La France de Depardon et ses espaces publics), où l’on voit la France profonde saisie par une modernité en toc.

Le livre d’Olivier Razemon, qui cite d’ailleurs l’ouvrage précédent, a d’autres ambitions. Il s’agit de d’exposer de façon très pédagogique et argumentée les processus qui aboutissent à dévitaliser les centres des villes. L’envahissement quasi généralisé des espaces publics par la voiture, et bien entendu les développements commerciaux périphériques, figurent parmi les causes principales du phénomène. Le constat, sans complaisance, est sombre, mais l’ouvrage se termine par une note d’espoir lorsque l’auteur évoque l’intérêt croissant pour des « espaces publics de qualité » – à savoir des aménagements accessibles et agréables à tous. Le travail réalisé à Bogota par le maire Enrique Penalosa fait le lien avec le livre d’Alexander Ståhle  (Closer Together) présenté il y a quelques jours. Plus près de nous, Nantes, Grenoble, Strasbourg, Lyon et bien d’autres montrent la voie à suivre. Revenant sur les initiatives de municipalités élues en 2014 avec le projet de ramener la voiture en ville, Razemon en expose les échecs et rappelle où est le sens de l’Histoire. Bref, ce livre engagé et solidement argumenté est hautement recommandable.

Photo : Villedieu-les-Poëles (Manche).

Date de l’article d’origine : 6 décembre 2016.

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