Difficile de s’intéresser à la vie dans les espaces publics sans s’intéresser aussi à l’œuvre du réalisateur Jacques Tati, auquel il a été fait allusion dans ce blog (voir 10 grands films, et même un peu plus, pour les amoureux des sociotopes).
J’ai eu ces derniers jours l’occasion de voir ou revoir l’intégralité de ses films, au demeurant peu nombreux. Cinq qui nous intéressent, répartis entre 1949 (Jour de fête) et 1971 (Playtime). Sur cette longue période, le contraste est saisissant entre l’ambiance du village filmé dans l’Indre peu après la guerre, et l’univers moderniste de Playtime. Entre ces deux extrêmes, Mon Oncle (1958) fait transition : à côté des vieux quartiers apparaissent de grands ensembles, et les travaux de démolition sur lesquels s’achève le film laissent entrevoir la fin d’un monde.
Jour de fête, Mon oncle et à un moindre degré Les vacances de Monsieur Hulot sont des hymnes à la gloire de l’espace public – la rue, la place de village ou de quartier, le terrain vague, qui sont des lieux de vie, de rencontres et d’aventures. On vit dehors, on se parle, et il n’y a pas de voitures, ou si peu. Dans les films de Tati, les êtres humains se déplacent à pied, à vélo, en Solex ou dans de vieilles guimbardes déglinguées. L’automobiliste est une créature désagréable au comportement moutonnier, enfermée dans sa boîte en tôle et guidée par des flèches directionnelles (dans Mon oncle, le personnage du père s’humanise en toute fin du film, lorsqu’il prend une flèche à contresens). On notera au passage, toujours dans Mon oncle, comment Tati ridiculise la « dépose » des enfants à l’école par leurs parents motorisés. Le cinéaste n’aimait pas les voitures, qui lui donnaient l’impression de rendre les gents idiots et méchants.
Dans Mon oncle encore, et bien sûr quand on se réfère à Jour de fête, la vie dans la rue contraste violemment avec un mode de vie « moderne » où les gens s’enferment derrière de hauts murs et des portails automatisés, eux aussi ridiculisés (et déglingués) par Tati.
Dans Playtime, l’auteur dénonce une architecture moderniste déshumanisante, grisâtre et tout en angles. Pour autant, comme il s’en explique par ailleurs dans un entretien, il n’est pas réactionnaire ni désespéré. La grandiose partie finale du film, dans le restaurant, suggère qu’il ne faut pas forcément grand-chose (l’irruption d’un doux zinzin, par exemple) pour que l’humanité submerge des lieux sans âme et dérègle des mécaniques trop bien huilées. On trouve d’ailleurs dans ce film des exemples de triangulation (voir Triangulons !), dans lesquels l’apparition d’un objet ou d’un personnage va mettre en communication des personnes qui ne seraient pas adressé la parole sinon. Commentant Playtime (dans le lien du haut), les gens de PPS (Project for Public Spaces) disaient qu’il fallait voir ce film quatre fois pour avoir tout saisi. Assurément, mais on peut en dire autant pour ses autres films, qui ne sont pas forcément aussi complexes mais peuvent faire l’objet de plusieurs lectures selon les thèmes auxquels on s’intéresse.
Puisque Noël approche, offrez-vous, offrez ou faites-vous offrir en coffret DVD l’intégrale des films de Jacques Tati !
Photos extraites de Mon Oncle (en haut) et Trafic (en bas). Date de l’article d’origine : 13 décembre 2016.