Le Conseil économique, social et environnemental (CESER) de Bretagne vient de sortir une phénoménale étude (300 pages) sur les espaces publics. Mais en ce 18 juillet, par 34° à l’ombre, difficile d’aller lire un tel pavé dans le jardin… allons donc plutôt faire des travaux pratiques à la plage, et même à la nage.
Cette plage, avec ses 73 m de long d’une cale à l’autre, est une de ces innombrables petites plages bretonnes au caractère confidentiel, fréquentées surtout par les habitants et aussi par quelques touristes initiés. Elle s’ouvre sur une lagune peu profonde, qui assèche à basse mer et se réchauffe vite, permettant de grappiller quelques précieux degrés par rapport à l’océan encore frisquet. Cet après-midi, c’est marée haute et l’étroite bande de sable fait le plein avec environ 70 personnes, venues pour la plupart à vélo ou à pied. A la différence de l’océan tout proche, de l’autre côté du cordon littoral qui délimite le bras de mer, l’ambiance sonore n’est pas dominée par le bruit des vagues, mais par celui des conversations et par les cris des enfants, mêlés aux cliquetis de drisses et aux cris de sternes en pêche. Derrière la plage, une rangée de bancs est adossée aux murs des maisons riveraines ; c’est aussi un lieu où l’on cause, et depuis lequel on peut observer et commenter tout ce qui se passe sur la plage – et chacun sait qu’il n’y a rien de plus captivant que de regarder les gens, si ce n’est de faire des commentaires sur les gens.
Et il s’en passe, des choses ! La cale de droite sert de plongeoir à des enfants et pré-ados, sûrement du coin, qui passent des heures à se jeter à l’eau, tandis que des pêcheurs tentent leur chance au lancer et qu’un autre prend des crevettes à la balance. Un handicapé en fauteuil s’y installe pour voir le spectacle. La cale de gauche sert pour la mise à l’eau des embarcations et on y voit passer de tout : hors-bord, vieux gréement, canots de pêche-promenade, kayaks, planches à voile… dont les évolutions participent à l’animation. Entre les deux, on nage entre les bateaux au mouillage, on barbote, on se laisse bercer dans un radeau pneumatique. Sur la plage, on bronze, on bavarde, on joue avec les enfants, on prend le goûter, on lit, on balade le chien. Ma voisine de droite lit Détective tout en surveillant sa petite-fille qui ramasse des coquillages, celle de gauche négocie avec son mari une prolongation de baignade dans une énorme bouée rouge. Toutes les tranches d’âge sont également représentées, et sur le soir, une mémé riveraine vient faire son petit tour et raconter sa vie à qui veut bien l’écouter, même que quand elle était petite on ne lui donnait pas longtemps à vivre et qu’elle a toujours bon pied bon œil à plus de 85 ans, comme quoi…
Pendant ce temps, le long du cordon littoral tout proche, les voitures sont garées à touche-touche sur des kilomètres, et les automobilistes s’énervent à rechercher une place pour pouvoir accéder à la mer.
Que nous apprend cette petite plage ? Au-delà des classiques « recettes du succès » (de l’eau, du spectacle, des activités possibles, des lieux pour s’asseoir ou s’allonger…), l’endroit dégage en permanence une impression d’harmonie et de respect d’autrui, peut-être parce que la multitude de pratiques qui se déploient sur un tout petit espace, dans un environnement empreint de calme, incite chaque usager à faire attention aux autres. On retrouve ici le paradoxe déjà évoqué à propos des parcs de New-York, dont les plus fréquentés sont considérés comme les plus calmes, ainsi que l’idée que les espaces exigus peuvent être des lieux privilégiés d’apprentissage du respect d’autrui (voir : 2,10 m).
Date de l’article d’origine : 25 juillet 2016.