« M », le très branché magazine du Monde, proposait récemment à ses lecteurs un article sur le thème « Et si on lâchait la bride à nos enfants ? ». Il y est question d’une certaine Lenore Skenazy, une Etatsunienne qui a fondé le mouvement Free Range Kids (« pour des enfants élevés en plein-air »), après avoir eu le privilège d’être sacrée « pire mère des États-Unis » pour avoir déclaré qu’elle laissait son fils de 9 ans prendre le métro tout seul à New-York. Sur le site internet de son mouvement, il est évidemment question du rapport des enfants aux espaces verts – les laisse-t-on y aller seuls, jouer sans surveillance, prendre des risques, etc. Cette approche est très révélatrice des réactions qui commencent à s’amorcer timidement contre l’hyper-sécurisation qui envahit la société, et tout particulièrement l’environnement des enfants. Une sécurisation en trompe l’œil, en fait, puisqu’il s’agit moins de rendre le monde globalement plus sûr que d’enfermer les enfants dans une bulle ou de les tenir en laisse. C’est ainsi que plutôt que de remettre en cause la place de la voiture dans l’espace public, on va chercher à empêcher les enfants de sortir dans la rue.
Un article pris au hasard sur le site de Free Range Kids évoque un parc récemment créé en Nouvelle-Zélande, après une enquête ayant montré que les enfants s’ennuient dans les terrains de jeux où ils ne peuvent pas prendre quelques risques. Plus de 6000 enfants ont participé à la conception de ce parc en proposant des foules d’idées sur ce que devrait être leur terrain de jeu idéal. Les aménageurs ont eu ensuite à faire des arbitrages entre les souhaits de créer des défis physiques et des contraintes de sécurité et de budget. L’auteur de l’article considère que les enfants ont tout intérêt à apprendre à aller de l’avant jusqu’au point où ils commencent à avoir peur, et à faire machine arrière à partir du point où ils risquent de ne plus contrôler la situation ; et il pense que les adultes aussi auraient pas mal à apprendre en la matière, par exemple ceux qui investissent en bourse.
« Vous ne pouvez pas vous contenter d’aménager une aire de jeux et d’attendre que le public vienne », conclut l’auteur. « Regardez autour de vous tous le terrains de jeu qui sont vides. Un terrain doit attirer les enfants avec un peu plus qu’une cage à écureuils bleue, rouge et jaune. Et la raison qu’il a d’attirer les enfants est que les enfants attirent d’autres enfants – c’est ce qu’il y a de mieux pour jouer. Et une ville pleine d’enfants est une ville pleine de vie. »
La « pire mère de l’Amérique » a aussi créé la journée internationale « Amenez votre enfant au parc et laissez-le là toute la journée », cette année le 21 mai. L’idée est de laisser les mômes faire ce qu’ils veulent, avec une surveillance discrète mais sans chercher à leur dicter leurs activités, cet événement pouvant être un moyen très efficace de ramener de la vie dans des parcs ordinairement vides. Décidément, ces Américains sont pleins d’idées !
En prime : un intéressant entretien ici (en anglais) avec Lenore Skenazy, où l’on découvre jusqu’où peut aller l’obsession sécuritaire aux États-Unis. Très curieux pour un pays qui vénère par ailleurs l’esprit d’initiative et la prise de risque.
Date de l’article d’origine : 27 mai 2016.