Non, ce mot suédois imprononçable n’est pas l’appellation d’une penderie Ikea. Il signifie quelque chose comme « sensations forestières », c’est à dire l’ensemble des sensations que l’on est supposé éprouver dans un environnement forestier authentique. Comme ce thème revient régulièrement dans les études de sociotopes réalisées là-bas, il peut être intéressant de s’y arrêter.
On est typiquement ici en présence d’une « valeur de sociotope » relevant à la fois du ressenti individuel et de la culture collective. Les enquêtes montrent que les « sensations forestières » sont liées à une ambiance sonore spécifique (pas de bruits d’origine humaine, silence ou seulement les sons de la nature), à une lumière particulière, des odeurs spécifiques à la forêt (humus, résine…), une notion de nature originelle peu modifiée par l’homme, une impression de pouvoir s’isoler voire se perdre, toutes choses fort prisées dans l’univers culturel germanique et nordique comme en témoigne une abondante production littéraire et picturale (1). Cette « skogskänsla » est d’ailleurs cartographiable (voir ci-contre), et diverses collectivités suédoises prennent soin de préserver des lieux où elle peut être éprouvée par les habitants.
Cette valeur étant éminemment culturelle, elle n’est pas appréciée de la même manière par tout le monde. Nous avons mentionné ici à diverses reprises les difficultés souvent ressenties par les immigrés face à un environnement forestier qu’ils perçoivent comme sinistre et angoissant. Et en France, est-on autant attaché à cette « skogskänsla » ? Je n’en ai aucune idée, mais ce qui me paraît certain c’est qu’en Bretagne, où les grandes forêts sont rares, on doit n’en avoir qu’une idée assez vague. En revanche, en me baladant avant-hier au bord de la mer durant la tempête, j’ai été frappé de voir tous ces promeneurs face aux éléments déchaînés, aspergés d’embruns salés et fouettés par les rafales, éprouvant par tous leurs sens la beauté sauvage de cet océan qui attire tant (photo ci-contre). On est bien dans des valeurs du même ordre que la « skogskänsla » avec là encore une dimension culturelle car, comme l’a montré notamment Alain Corbin dans « Le territoire du vide – L’Occident et le désir de rivage » (1988), cette passion pour le bord de mer n’est pas très ancienne et s’est construite progressivement.
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(1) « Selon l’historien Simon Schama, les énormes forêts sombres et denses de l’Allemagne représentent une clé de l’imaginaire germanique qui a été réinterprétée dans les contes, légendes, tableaux (…), tandis qu’en Grande-Bretagne, c’est plutôt le rêve du Greenwood, des bois verts et protecteurs, qui a façonné de génération en génération l’univers anglais » (Patrick Chamoiseau : espaces d’une écriture antillaise, par Lora Milne, 2006).
Date de l’article d’origine : 9 février 2016.